Sous la menace et sans la France : voilà qui pourrait résumer la recomposition stratégique et politique qui se dessine ces derniers mois au Sahel. Le départ de la France du Niger, la dissolution du G5 Sahel et la fin de la Minusma sont venus clore symboliquement un chapitre. Le nouveau s’ouvre avec des militaires au pouvoir, un péril djihadiste toujours plus pressant et une ombre qui étend son influence : Moscou.
“Pour l’instant, les pouvoirs militaires n’ont pas fait la preuve qu’ils étaient plus efficaces que les pouvoirs civils qu’ils ont renversés” prévient d’emblée Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français des relations internationales (IFRI), lors de son audition devant la commission défense de l’Assemblée nationale.
Les forces maliennes, les FAMa ont célébré la reprise stratégique et symbolique de la ville de Kidal dans le nord mi-novembre. Néanmoins, moins d’un mois après, le 12 décembre, une attaque terroriste sanglante sur le camp de Farabougou, dans le centre du pays, a fait plusieurs dizaines de victimes, venant rappeler que la menace des groupes armées pèse toujours sur le pays.
Fin novembre, ce sont au moins 40 civils qui sont tombés lors d’une attaque massive du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM relaté à Al-Qaida), à Djibo, une grande ville du nord du Burkina Faso. En octobre, c’est le Niger, marqué par un putsch fin juillet, qui a été touché dans sa région frontalière avec le Mali. Les autorités ont longtemps fait état de 29 morts, mais RFI rapporte le décès d’au moins 60 soldats.
La menace s’est territorialisée, car elle n’est plus dans une posture défensive
“La situation sécuritaire s’est dégradée” résume Alain Antil. “La région des trois frontières reste la zone la plus affectée avec énormément de déplacement de population” abonde Virginie Baudais, chercheuse et responsable du Sahel à l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Néanmoins, “la menace terroriste se déplace” note Caroline Roussy, responsable du programme Afrique à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).
Cette année, le Bénin a largement renforcé sa réponse militaire, notamment avec l’opération Mirador, pour protéger le nord de son territoire, frontalier avec le Burkina Faso et le Niger, confronté à une hausse des attaques terroristes. “La menace s’est territorialisée, car elle n’est plus dans une posture défensive” confirme Caroline Roussy.
Les pays composant la zone des trois frontières, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont tous connu des putschs dans ces deux dernières années. “Cela s’accompagne d’une reprise en main du secteur de la sécurité, par les gouvernements et donc par les armées nationales” analyse Virginie Baudais. “Le fait que ce soient les armées qui mènent le combat contre les djihadistes est plutôt bien vu par les populations” complète-t-elle. Avec la fin du G5 Sahel, les trois juntes militaires au pouvoir ont d’ailleurs récemment créé l’Alliance des États du Sahel afin de mutualiser leur moyen de défense. “Dans ce cadre, on peut parler d’une entité politique commune” souligne Caroline Roussy.
Cependant, des différences demeurent entre les trois régimes, notamment dans l’approche sécuritaire. “Au Burkina Faso, le gouvernement a opté pour une mobilisation générale afin d’incarner la nation en acte contre le djihadisme avec une quantité de victimes civiles et de déplacés inquiétants” explique Virginie Baudais. Ce sont des “volontaires de défense de la patrie” qui agissent avec les forces armées et qui sont soupçonnées de commettre des exactions. “Ces civils n’ont pas nécessairement de formation en matière de droit de l’Homme” ajoute Caroline Roussy.
Au Mali, la lutte est un peu plus structurée avec les FAMa (Forces armées maliennes) qui sont soutenus par la milice les mercenaires du groupe russe Wagner. “Les entités mènent des opérations de concert” assure la chercheuse de l’IRIS. Wagner était notamment présent aux côtés des FAMa lors de la prise de Kidal. “Ces mercenaires ne sont pas qu’une garde prétorienne au Mali, ils font la guerre” rapporte-t-elle.
Les russes disposent d’une offre assez complète en matière sécuritaire
L’influence de la Russie est globalement grandissante dans la région. Début décembre, la junte militaire au Niger a annoncé le “renforcement de la coopération dans le domaine de la défense” avec Moscou. “Les Russes ne sont pas instigateurs des événements politiques au Sahel, mais ils offrent un appui en armes et disposent maintenant d’une offre assez complète en matière sécuritaire” détaille Alain Antil, de l’IFRI.
#France : Alain Antil s'exprime sur la présence de la #Russie en #Afrique lors d'une commission à l'assemblée nationale. (1) pic.twitter.com/THXzyLIaRl
— Josly Ngoma (@josly_ngoma) 13 décembre 2023
Face aux Russes, les Américains tentent de maintenir un semblant de présence, notamment au Niger, où ils ont pris soin de ne pas se mettre à dos la junte militaire, afin de pouvoir conserver leur base militaire stratégique à Agadez.
À l’inverse, la France s’est mis à dos les autorités militaires de ces trois pays. Les militaires tricolores ont été chassés de Bamako, de Ouagadougou puis de Niamey à la fin de l’été. Paris s’est replié au Tchad, mais ne dispose plus d’aucune stratégie lisible dans la région. “C’est la débandade” ose Caroline Roussy. Quel est l’objectif depuis N'djamena ? Combien d'hommes ? “Peut-on imaginer une réarticulation vers les pays du golfe de Guinée ?” ajoute-t-elle. Les questions sont nombreuses. D’autant que le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont des élections à venir (Février 2024 - 2025) qui laissent planer une ombre sur le futur de la stabilité politique de ces deux pays.
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Enfin, ce qui interroge aujourd’hui, c’est la pertinence de la stratégie du tout militaire, qui a conduit la France dans le mur au Mali. “Il y a une profonde remise en cause des liens de la politique française avec le Sahel qui appelle à une réflexion de long terme” assène Virginie Baudais du SIPRI. “Nous sommes très mal à l’aise de travailler avec ces gouvernements militaires et nous avons du mal à comprendre les volontés de changement” conclut la chercheuse qui exhorte à mieux connaître nos partenaires.
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