Des chevaux de trait, des mets du terroir et des défis colossaux. Après une année 2022 faste bien que sèche pour les filières agricoles, le Salon de l'agriculture s'est ouvert samedi dernier à Paris. Entre explosion des normes, pression sociale et chute des vocations, les producteurs français traversent une crise structurelle.
"Je pense, moi qui travaille avec des agriculteurs depuis des années, qu'ils ont beaucoup à nous apprendre et à apprendre à notre société", souffle Bruno Guerre, directeur général adjoint de Chambres d'agriculture France, l'échelon national des chambres d'agriculture qui accompagnent les exploitants dans chaque département. "L'agriculteur sait ce qu'est la notion du temps, du temps long, alors qu'on est dans une société de l'instant", relève-t-il, soulignant qu'il faut "six mois entre le moment où on met la graine dans le sol et la récolte ; quand on élève un veau pour qu'il devienne une vache, il faut trois ans".
C'est un secteur où la notion de solidarité est très forte
A une époque marquée par le délitement du tissu social, le monde agricole se distingue par une confraternité à toute épreuve. "C'est un secteur où la notion de solidarité est très forte : c'est eux qui ont inventé les coopératives", rappelle Bruno Guerre.
Ces belles considérations se heurtent hélas à une réalité peu reluisante. "Il faut qu'un jeune qui s'installe sache qu'il va pouvoir vivre de son métier, or ce à quoi on assiste aujourd'hui, c'est à un empilement de réglementations", regrette-t-il.
Le cadre réglementaire actuel a tout pour dissuader les jeunes qui voudraient s'installer. "Un des problèmes qui viennent impacter notre souveraineté, c'est les règles et les normes environnementales", cible Bruno Guerre. Ces dernières, édictées pour beaucoup par les instances européennes, sont plus ou moins minutieusement appliquées par les Etats-membres de l'UE. Résultat, "on est obligé d'accepter les produits des autres pays européens même si leur production n'est pas faite dans les mêmes conditions que celle en France", proteste-t-il.
Il y a comme un hiatus entre la souveraineté alimentaire, martelée samedi encore par Emmanuel Macron dans les allées de la Porte de Versailles, et la boulimie normative des institutions nationales et supranationales. "En France, on a un peu la manie de faire de la surtransposition des règles qui s'appliquent aux agriculteurs en Europe, ce qui fait qu'on est moins compétitif", déplore l'ancien DG de la chambre d'agriculture du Cher.
En France, on a un peu la manie de faire de la surtransposition des règles qui s'appliquent aux agriculteurs en Europe, ce qui fait qu'on est moins compétitif
Dernier exemple en date : l'interdiction par la CJUE de l'usage des néonicotinoïdes, actée avec beaucoup de zèle par la France, qui a immédiatement exclu toute utilisation dérogatoire de ces insecticides "tueurs d'abeilles". "La dérogation qui permettait de les utiliser encore vient d'être annulée, or dans certains pays d'Europe, ils continuent de les utiliser", peste-t-il, dénonçant une France qui joue la "bonne élève" au détriment de ses propres producteurs.
A l'inflation normative s'ajoute une difficulté nouvelle, la guerre menée par de bruyants activistes aux agriculteurs, sommés de s'adapter sans délai au changement climatique. "On n'a plus construit de réserve d'eau depuis des années. C'est extrêmement compliqué, parce que la pression est très forte", explique Bruno Guerre.
L'automne dernier, le chantier d'une "méga-bassine" de récupération des eaux de pluie dans les Deux-Sèvres avait été occupé par des militants écologistes. "Toutes les règles ont été respectées, les dossiers ont été montés de manière à ce que les intérêts des uns et des autres soient entendus", riposte-t-il à ces militants qui, selon lui, "mettent une pression et tétanisent un peu les pouvoirs publics".
"Il y a une pression qui peut être forte", résume Bruno Guerre. Sur tous les fronts.
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