En ces temps troublés par une guerre fratricide en Ukraine, il était nécessaire d’aborder la situation religieuse dans ce pays, de retracer l’histoire de l’Église Orthodoxe et de faire apparaître les grands enjeux du conflit. Le Père Pierre Kazarian - Toumanoff, Recteur de la paroisse Orthodoxe Sainte Philothée à Montpellier, bien voulu répondre à nos questions.
1000 ans de civilisation slave orthodoxe
Par le baptême du prince Vladimir 1er en 988, Kiev est le lieu de naissance de la civilisation slave orthodoxe. En 991, le siège métropolitain de Kiev est créé sous la juridiction du patriarcat œcuménique de Constantinople. L’Église russe se consolide au cours des siècles suivants, et marque de plus en plus son indépendance. En 1589, le patriarcat de Moscou est créé et l’Église orthodoxe de Russie devient alors autocéphale
En 1686, l’Église orthodoxe ukrainienne est contrainte de se subordonner au patriarcat de Moscou. Profitant de l’éphémère indépendance de l’Ukraine, l’Église orthodoxe autocéphale ukrainienne se sépare de l’Église orthodoxe russe en 1919, mais elle est rapidement réprimée par le régime soviétique. Elle se développe aux États-Unis et au Canada.
Il faut attendre la chute de l’URSS en 1991 pour que des Églises dissidentes mais non reconnues s’imposent de nouveau en Ukraine, dont l’Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev.
Sur quoi s’appuie l’identité nationale ukrainienne ?
Depuis la révolution Euromaïdan, la refondation de l’identité nationale ukrainienne s’appuie sur une politique linguistique d’ukrainisation et sur un rejet de l’héritage soviétique.
L’orthodoxie ukrainienne se compose de 3 branches ? Lesquelles ?
Avec plus des deux tiers de la population s’y déclarant affiliés, le christianisme orthodoxe en Ukraine est divisé en trois Eglises distinctes :
Vers l'autocéphalie
Le 6 janvier 2019, le métropolite Epiphane reçoit à Istanbul le tomos, par lequel le PC reconnaît officiellement la canonicité et l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine. Le Président Porochenko se félicite alors de la « véritable indépendance de l’Ukraine vis-à-vis de Moscou » et de l’apparition d’une nouvelle église « sans Poutine (…) et sans prière pour l’armée russe ».
Il y a eu des conséquences à l’autocéphalie : c’était l’échec ukrainien du Patriarcat de Moscou
Les conséquences immédiates concernent les fidèles et le clergé russes : la décision de rupture de la communion du PM interdit en effet de recevoir les sacrements dans les églises du PC et de célébrer des liturgies communes. La « perte » des diocèses ukrainiens (et de leurs revenus financiers importants pour le PM) pourrait en outre ébranler l'autorité de Kirill à la tête du PM.
Point de départ de l’escalade des tensions entre la Russie et l’Occident, les Etats-Unis ont soutenu l’autocéphalie de l’Église ukrainienne par la voix de hauts responsables et Philarète a été reçu au Département d’État en septembre 2018. Kirill a immédiatement dénoncé une « commande » de Washington visant à détruire « l’îlot de liberté » que représente, selon lui, l’Eglise orthodoxe russe.
Il a été nécessaire de restructurer l’orthodoxie ukrainienne : les marges de manœuvre de la nouvelle Eglise semblent en effet limitées par le PC. Il ne s’agit pas d’un patriarcat à proprement parler, mais d’une métropole circonscrite au territoire ukrainien et dirigée par le métropolite de Kiev. Les nominations des hiérarques requièrent l’aval du PC, qui va aussi créer un exarchat à Kiev. Les critiques à Moscou dénoncent une « fausse autocéphalie » par laquelle Constantinople s’arrogerait le deuxième territoire le plus important du PM.
La transition des paroisses du PM sous autorité de la nouvelle Eglise autocéphale représente un enjeu crucial pour Kiev. Philarète misait sur un changement d’obédience de la moitié des paroisses du PM (2/3 de la paroisse doit exprimer son accord) : le mouvement s’esquisse, essentiellement dans les régions occidentales. Il ne faut probablement pas s’attendre à une adhésion massive : les croyants occasionnels privilégieront l’église la plus proche, nonobstant son affiliation, tandis que les plus fidèles resteront attachés – pour des raisons spirituelles, culturelles et linguistiques – à leur patriarcat d’origine. L’obtention de l’autocéphalie a été une victoire politique personnelle de P. Porochenko, qui a largement instrumentalisé la question pendant la campagne présidentielle (son principal slogan a été « Armée. Langue. Foi. »). Arrivé au premier tour (31 mars 2019) avec 16 % des voix, loin derrière le comédien Volodymyr Zelenski (30,3 %), puis battu par ce dernier à l’issue des élections avec seulement 24,4 % des voix, P. Porochenko semble toutefois en avoir surestimé l’impact pour la population, que l’autocéphalie a laissée, selon les sondages, bien plus indifférente qu’il n’espérait.
Dans l’espace postsoviétique, le « monde russe » reste sur la défensive: le concept de « Rousski mir » [Monde russe] selon le Kremlin, qui renvoie à un espace transnational dominé par la Russie, a beaucoup inquiété son voisinage, car il fournit un prétexte pour défendre, y compris manu militari, ses « compatriotes de l’étranger ». La composante religieuse y est centrale : en réaction l’octroi de l’autocéphalie à l’Eglise ukrainienne, qui pourrait d’ailleurs faire tache d’huile dans l’espace postsoviétique, Moscou promet désormais de protéger les orthodoxes à l’étranger de la même manière que les russophones, accroissant ainsi le risque de nouveaux conflits dans la zone.
Va-t-on vers une polarisation du monde orthodoxe ?
Ce précédent ukrainien crée des divisions au sein de l’orthodoxie et peut même se retourner contre le PC. En effet, Constantinople a pris des risques susceptibles de fragiliser sa primauté historique : son action unilatérale – que certains à Moscou ont qualifiée de « revendications papistes » – est loin d’être approuvée par toutes les autres Eglises autocéphales. Celles de Serbie, de Pologne et, de manière moins unanime, de Géorgie ont exprimé leurs réticences. Les considérations politiques conjoncturelles ont abouti à des décisions dont les conséquences risquent de polariser le monde orthodoxe et d’approfondir sa désunion.
Quelques mois après sa création, la nouvelle église ukrainienne n’a toujours pas été reconnue par aucune des autres Eglises autocéphales, en dépit de la confiance affichée par le Patriarche de Constantinople. Par ailleurs, les premiers signes de division se sont rapidement manifestés en interne. Au mois de mai 2019, Philarète, s’estimant lésé par l’ancien président ukrainien et par Constantinople, déclare refuser la fusion du PK dans la nouvelle Eglise et certaines dispositions du tomos (comme l’interdiction de préparer le saint-chrême). Si l’ancien primat refuse de parler de schisme, sa dénonciation d’une nouvelle situation de dépendance, cette fois-ci vis-à-vis du PC, devrait satisfaire indirectement le PM en contrariant durablement l’affirmation de la nouvelle Eglise.
L’église autocéphale reste fragile ?
Alors que le Kremlin et le patriarcat de Moscou continuent de se soutenir mutuellement et d’affirmer leur pouvoir, l’Église autocéphale d’Ukraine pourrait se fragiliser. Elle rencontre encore un problème de légitimation sur la scène locale et sur la scène internationale.
Mais toutes les églises condamnent l’intervention militaire russe ?
Les Églises ukrainiennes condamnent unanimement l’injustice de l’attaque russe.
En conclusion :
L’autocéphalie est un marqueur de l’ukrainité, symbole de souveraineté territoriale, d’indépendance et d’identité distincte. Elle utilise l’ukrainien dans les célébrations religieuses, contrairement au slavon pour l’Église russe. Les diocèses passés sous la juridiction de l’Église d’Ukraine ne versent plus une part de leurs revenus financiers au patriarcat de Moscou.
L’autocéphalie de l’Église ukrainienne, actée par le patriarcat de Constantinople — la première juridiction autocéphale de l’Église orthodoxe par le rang — est désormais reconnue également par l’Église orthodoxe de Grèce et par le patriarcat d’Alexandrie et de toute l’Afrique.
Le seul différend qui perdure est un conflit théologico-géopolitique au sein même de l’orthodoxie. Ce conflit, qui n’est pas seulement dû à l’ingérence du politique dans le religieux, ni à la lutte entre les appareils ecclésiastiques, se manifeste sur l’ensemble du territoire de l’Ukraine. Il est vrai que la politique d’affirmation de l’ukrainité des Eglises par le Patriarcat de Constantinople, comme par le Vatican, entre aussi dans leur jeu d’opposition à Moscou.
Une fois par mois, le Père Pierre Kazarian-Toumanoff nous présente l'actualité des paroisses orthodoxes de notre département et les acteurs culturels qui les animent.
La ville de Montpellier possède 4 lieux de culte Orthodoxes en communion :
- La paroisse orthodoxe Sainte Hélène et la Sainte Croix : Archevêché des Églises Orthodoxes Russes en Europe Occidentale dans le quartier de Celleneuve, place de l'église, à Montpellier. La liturgie est célébrée en langue française par le Père René Fouilleul. Voir le site https://sites.google.com/site/stehelenemontpellier/
- La Paroisse Orthodoxe Roumaine : la Paroisse Saint André , sous la juridiction de la Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale s’est établie à l’Eglise Notre Dame de la délivrance 8 rue Jean Casteran à ANIANE. Pour les offices, interrogez le site http://montpellier.mitropolia.eu/
- La Communauté orthodoxe Russe dédiée à Saint Wladimir : Sous la juridiction du Patriarcat de Moscou, à l’Eglise Don Bosco , Rue Léon Blum, Montpellier. Père Georges Egorov, Recteur de la paroisse du Saint Esprit à Perpignan intervient une fois par mois.
- L’Eglise Orthodoxe Sainte Philothée d’Athènes : Patriarcat Oecuménique de Constantinople-Métropole Orthodoxe grecque-Métropole de France. Domaine de Grammont, Montpellier. Dont le recteur est le Père Pierre Kazarian. La paroisse est francophone et ses offices sont Byzantins. Pour les offices, interrogez le site https://www.eglise-orthodoxe-sainte-philothee.com/
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