Théologie de la libération : ce que Gustavo Gutiérrez doit à Lyon

Sa « théologie de la libération » aura étonné, fait l'objet de controverse, avant d'être peu à peu acceptée. Né au Pérou en 1928 au Pérou, Gustavo Gutiérrez est envoyé en Europe pour sa formation de séminariste : d'abord à Louvain en Belgique, où il rédige une thèse sur Freud, puis à Lyon, au séminaire et à l'Université catholique. 

Pendant deux ans, entre 1955 et 1957, André Baffert va côtoyer le Péruvien au séminaire. Ce prêtre de la communauté du Prado (ordonné en 1962) se souvient d'un homme qui sort déjà du lot. Le père Baffert se souvient de « son intelligence immense, de son humilité et de sa grande culture ».

Ils parlaient des pauvres comme s’ils étaient de sa famille, avec un cœur enflammé. Cette lumière mise sur eux disait quelque chose de neuf sur Dieu car Gustavo parlait "d’en bas".

C'est seulement une trentaine d'années après leur rencontre au séminaire, dans les années 1980, qu'André Baffert et Gustavo Gutiérrez se lieront d'amitié. Lors d'un voyage en Amérique du Sud, le père Baffert est invité par le doyen de la Faculté de théologie de Lyon, le père Henri Bourgeois, à aller rencontrer ce théologien prometteur, qui a parlé pour la première fois en 1968 devant les évêques latino-américains de l'importance pour les catholiques de choisir « l'option préférentielle pour les pauvres », devenu aujourd'hui un pilier de la doctrine sociale de l'Eglise. C'est ainsi que naît la « théologie de la libération », un courant de pensée qui entend accompagner les personnes en précarité pour qu'elles soient actrices de la libération de leur propre condition. 

Condition, libération, tous ces concepts font craindre à certains une lecture marxiste de l'Eglise, dans un contexte de Guerre Froide. En 1984, le cardinal Joseph Ratzinger, futur pape Benoît XVI, est alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Il publie une mise en garde très sévère contre Gustavo Gutiérrez et sa théologie de la libération. 

Présentation déterminante de sa thèse à Lyon

C'est dans ce contexte qu'André Baffert retrouve son ami péruvien à Assuncio, au Paraguay. « C'est la panique, Rome nous abandonne, s'inquiète Gustavo Gutiérrez, il faut que la Catho de Lyon fasse quelque chose ». Le message est bien reçu à Lyon : la Faculté de théologie lyonnaise, dont la pensée rayonne alors dans le monde entier grâce à Henri Bourgeois et Christian Duquoc, organise une « réplique institutionnelle » en invitant Gustavo Gutiérrez à venir soutenir sa thèse « Pour une théologie de la libération ». 

La journée a lieu à la Pentecôte 1985. Un millier de personnes viendront écouter le prêtre péruvien, dont le père Bruno-Marie Duffé. Ce jeune professeur de philosophie et de théologie morale a été ordonné prêtre depuis quatre ans. Il se souvient. 

Gustavo Gutiérrez n'était pas un homme dogmatique, c’était un homme de l’émotion, de la rencontre, de la proximité, et tout ça transpirait dans cette thèse. Il était resté fragile, mais d’une fragilité qui rend proche.

Cette journée lyonnaise marquante localement est déterminante dans la diffusion de la pensée du père Gutiérrez. Quelques mois plus tard, le pape Jean-Paul II publiait un texte en soutien à la théologie de la libération, sans pour autant citer Gustavo Gutiérrez. 

Cette journée lyonnaise marquante localement est déterminante dans la diffusion de la pensée du père Gutiérrez. Quelques mois plus tard, le pape Jean-Paul II publiait un texte en soutien à la théologie de la libération, sans pour autant citer Gustavo Gutiérrez. 

D'ailleurs, le Pape François aujourd'hui, lui aussi originaire d'Amérique Latine, adopte des positions proches de celles de Gustavo Gutiérrez comme le souligne Bruno-Marie Duffé, qui a été secrétaire du dicastère pour le Service du développement humain intégral, auprès du souverain pontife argentin, entre 2017 et 2021.

Le pauvre est, dans l’Evangile, le prochain par excellence. On dit souvent que François est tenant d’une théologie du peuple. Or il me semble qu'il a intégré de manière spirituelle, interne, quasi-charnelle, la manière de penser de Gustavo Gutiérrez.

Après cette réhabilitation progressive au sein de l’Eglise, Lyon continuera de jouer un rôle-clé dans la vie du théologien péruvien : Gustavo Gutiérrez effectuera sa profession solennelle chez les Dominicains en 2004, à l’âge de 76 ans, au couvent du Saint-Nom-de-Jésus, dans le 6e arrondissement de Lyon.