Nous connaissions la tendance no kids, la volonté de ne pas devenir parents. Nous découvrons désormais le phénomène adult only, le rejet de l’enfant de l’autre. Ils chouinent, râlent, pleurent, crient. Les enfants ne sont plus vraiment les bienvenus dans certains établissements, comme les hôtels ou restaurants. Une pratique venue tout droit de l’étranger qui inquiète, au moment où Emmanuel Macron souhaite un réarmement démographique.
Le phénomène adult only prend de l’ampleur en France. D’abord observé massivement en Corée du Sud puis en Belgique, le adult only s’installe doucement dans l'Hexagone. Il n’est plus vraiment rare de voir un hôtel ou un tour-opérateur proposer une prestation réservée aux adultes. Sur certains sites internet, c’est même devenu un critère de recherche à part entière. À l’heure où la société s’individualise, quelle place réservons-nous à nos enfants, les consommateurs de demain ?
La Corée du Sud décompte déjà près de 500 établissements restaurants qui interdisent l’accès aux enfants. Le nombre d’hôtels est bien plus important et difficilement quantifiable avec précision. En France, la pratique s’installe et la loi semble claire sur le sujet. “C’est le principe de la libre prestation de services”, assure Maître Jonathan Bellaiche, avocat, fondateur du cabinet Goldwin. “Ce n’est pas un refus des enfants. C’est juste que l’on accepte que les adultes”. Tout est une question de sémantique : un établissement, comme un restaurant ou un hôtel, ne refuse pas en réalité l’accès aux enfants. Il accepte seulement les adultes. “On peut faire une offre uniquement pour une typologie de population. Est-ce que ce serait illégal une soirée seulement pour les femmes ?", compare l’avocat.
Tout est donc une question de sémantique. Les no kids zones sont interdites, mais le adult only, lui, est bien autorisé. Il faut seulement que l’établissement soit clair dans son intention dès le départ. “La question est de savoir si, une fois que l’on a accepté l’argent d’un client [via une réservation sur internet par exemple, NDLR], on a le droit de refuser dans son établissement parce qu’il est un enfant ? La réponse est non”. L’établissement aurait dû filtrer en amont, et prévenir dans le contrat cette prestation adult only. “La discrimination est une infraction pénale. Le pénal induit une intention. C’est quoi l’intention du commerçant ?”, s’interroge Maître Jonathan Bellaiche. “Son intention n’est pas de discriminer les enfants, c’est juste que son offre est à destination des adultes. Il n’a donc pas l’intention de discriminer”, justifie-t-il.
Il n’empêche qu’à l’heure où Emmanuel Macron souhaite un réarmement démographique, et que la natalité en France est historiquement basse, il est légitime de s'interroger sur la place laissée à l’enfant dans notre espace public. À quoi bon avoir des enfants si la société leur refuse l’accès à tel ou tel établissement ? Edwige Chirouter, professeure des universités en philosophie de l’éducation, voit en ce phénomène “une individualisation de la société, et moins de tolérance à l’altérité”.
À cela s’ajoute “un discours réactionnaire, plus conservateur sur l’éducation”, explique la professeure qui observe un “retour à l’autorité, à la discipline”. Les interminables débats autour de l’expérimentation de l’uniforme scolaire, en sont une illustration. “Il y a une recherche de ré-invisibilisation des enfants, ou même d’exclusion”. Edwige Chirouter observe le phénomène : “On a donné des droits, des avancées aux enfants. Maintenant, c’est fini, on se calme”.
Un constat partagé par l’essayiste, spécialiste de l’éducation Emmanuelle Piquet. “On a mis en place toutes sortes de choses depuis des décennies pour mettre l’enfant au centre. Pour tenter de le faire grandir en autonomie, mais dans la bienveillance et dans le respect de ses besoins fondamentaux”. Elle poursuit : “Ça a généré des générations d’enfants qui sont plus vifs, plus négociateurs, plus rebelles. Et ça, on ne le supporte pas”, analyse l’essayiste. “On a créé quelque chose de différent et de fondamentalement bon pour les enfants ; mais on n’en accepte pas les conséquences, notamment dans l’espace public”.
Une chose est certaine : les regards insistants de certains usagers dans un train ou dans un avion envers les enfants, sont aussi destinés aux parents. Qui n’a jamais participé, ou au moins assisté, à de vives réactions entre deux usagers, au motif de chouinements d’un enfant en bas âge ? On assiste d’un côté, à une société plus individualiste, qui exige le retour de l’autorité verticale provenant des parents. De l’autre, certaines injonctions prônent une éducation positive, dans laquelle l’enfant doit s’émanciper car il est le consommateur de demain. “À la fois, ils [les parents, NDLR] doivent se montrer infiniment bienveillants, positifs, patients. Mais ils doivent aussi se montrer exigeant, cadrant, pour faire en sorte que ça ne perturbe personne. C’est impossible de réussir les deux en même temps”, assure Emmanuelle Piquet. “Les parents sont pris dans cette double injonction [...] et je trouve que c’est surtout une souffrance pour les jeunes parents”, détaille celle qui reçoit régulièrement des parents en consultation.
Pour Edwige Chirouter, il est clair “que l’on voit moins les enfants dans l’espace public”. C’est d’ailleurs, selon elle, pour ça que l’on est exaspéré “lorsque l’on en voit dans le train”. Ce phénomène est inquiétant : “Tout éduque un enfant. L’éducation des parents, mais aussi le regard que porte la société sur lui”, assure-t-elle. C’est le principe de l’éducation collective. Les regards noirs et insistants à l’égard des enfants bruyants dans un train ou dans un avion, participent donc à son éducation. “C’est aussi le principe de faire société”, conclut Emmanuelle Piquet.
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