Perdre le gout et l’odorat, pour ceux qui l’ont vécu, c’est très déstabilisant. Cela l’est encore plus quand ce sont vos outils de travail, notamment pour les cuisiniers, œnologues, vignerons, cavistes, parfumeurs.
"Je ne sens plus, je suis aveugle. C’est un sentiment de perte de repères. J’ai l’impression d’être un animal sans antennes", lâche Nathalie Pichard, fondatrice de l’agence Topnote, qui travaille depuis de nombreuses années dans le monde de la parfumerie et qui a perdu son odorat. Dans le monde de la parfumerie l’odorat est bien sur capital. Le syndicat du secteur Prodarom a mis en place une sorte de bulle sanitaire pour protéger les nez les créateurs de parfum. Très peu ont été touchés mais il y aussi les évaluateurs qui accompagnent l’élaboration des jus. Ils sont environ 800 en France.
Le monde du vin est aussi très concerné, où goût et odorat sont essentiels. "Je sentais parfois des odeurs qui étaient un peu exacerbées comme le vinaigre. [...] J’ai vu ma vie professionnelle s’écrouler", se souvient Nathalie Pouzalgues, œnologue au centre du rosé de Vidauban, dans le Var. Heureusement pour elle, ses sens sont revenus progressivement là aussi grâce à une rééducation.
L’union des œnologues de France a fait une enquête auprès des professionnels. On compte environ 5000 œnologues et 2500 sommeliers en France. Environ 3000 ont répondu à un questionnaire : 68 % ont perdu l’odorat et 56 % le goût en raison du Covid, 16 % des étudiants qui se destinent à ce métier ont aussi été touchés. "Vous avez 95 % des cas qui récupèrent dans les 60 jours mais vous avez 6 % des personnes qui ne récupèrent pas et qui ont un Covid long. L’analyse sensorielle c’est essentiel. C’est comme si on disait à un musicien : 'Vous devez jouer votre partition sans votre instrument de musique'", explique Didier Fages, président de l’Union des Oenologues de France.
Sauf pour les Covid long, globalement les patients atteints récupèrent plus ou moins vite. En moyenne 50 % des malades dans les 15 jours, 95 % dans les six mois grace à une rééducation. Mais pour ces professionnels de l’odorat et du goût, évaluer cette récupération n’est parfois pas très évident. "On n’a pas tendance en France à mesurer les pertes d’odorat parce qu'elles sont difficiles, longues. Donc les gens qui récupèrent bien sont globalement contents", explique le Dr Laurent Seidermann, président du syndicat des ORL de France.
Après un Covid, certains professionnels ont du mal à retrouver leurs marques. Œnologue à Reims, Sophie Pallas a elle aussi perdu goût et odorat il y a quelques mois avant de les retrouver mais il lui manque encore des sensations. "Je me suis rendu compte que j’avais retrouvé mon appréciation globale dans le vin. On perd complètement son assurance et j’ai l’impression de réapprendre", confie-t-elle.
Des recherches sont en cours pour favoriser et renforcer la rééducation. Au CHU de Nancy, un protocole incluant 80 patients a été mis en place avec la création d’un kit de rééducation défini par le Dr Nguyen ORL, notamment avec des odeurs de "rose, eucalyptus, citron, clou de girofle qui stimulent le nez olfactif". Certains patient se rééduquent avec quatre odeurs, d’autres avec huit. Les résultats pourront dire si ce kit peut être généralisé partout. L’union des œnologues de France souhaite lancer un programme de recherche sur les pertes de gout et de l’odorat via son fonds de dotation.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !