Chaque jeudi, l'actualité littéraire à découvrir. aujourd'hui, Ultramarins, le roman de Mariette Navarro, publié chez Quidam éditeur. Frissons et voyage en haute mer, avec l'équipage d'un cargo en route vers la Guadeloupe. L'Atlantique et ses mystères.
On embarque aujourd’hui pour une transat étrange et romanesque, une histoire loufoque par certains côtés, qui tiendrait de la fable moderne ou fantastique, avec des marins en pleine mer, confrontés à la routine. A bord de ce cargo de marchandises à destination de la Guadeloupe, tout semble normal, au départ. Le bateau est sous l’autorité de la commandante, une femme décidée, qui a su s’imposer dans cet univers d’hommes parfois bourrus. Et voici que l’équipage se prend à rêver d’un bain de pleine mer et que, contre toute attente, la commandante leur accorde cette récréation inédite, interdite, hors de tout contrôle : « Ils ont attendus de ne plus être en vue d’aucune côte, d’aucun bateau lancé dans son commerce. Ils ont débranché les radars. D’ici, aucun oiseau ne pourrait relayer la nouvelle de leur présence. (…) Ils mettent, pour la toute première fois, les deux pieds dans l’océan. » Incroyable sensation : les marins sont des petits points perdus dans l’Atlantique, « ils saisissent que ce seront les secondes les plus pures, sans frayeur, ni ombre, ni nuage », avant de se rendre compte, aussi, qu’ils sont « les jouets des flots, les jouets volontaires, ils coopèrent avec le vent qui plisse la surface et avive la frayeur. »
Se trouver au milieu de nulle part, quel vertige !
Mais « Tant qu’on n’est pas remontés à bord, on ne vaut pas beaucoup plus que du plancton. » En fait, l’enjeu du livre ne porte pas sur cette folle équipée des marins plongeant dans l’océan. Bien sûr, après l’euphorie de premier bain, c’est l’angoisse de devoir remonter à bord de ce mastodonte des mers qui semble s’éloigner au gré du courant : « Ils n’auront pas été autre chose que des créatures terrestres qui paniquent dans bleu. Ils auront vu leur vie résumée dans une vague, espéré le rivage et le réveil. » Une fois à bord, l’équipage au complet compte… un homme de plus, une sorte de fantôme peut-être, de clandestin, alors que tout se dérègle : le cargo se traîne sur la route, la brume envahit l’espace, les hommes silencieux reprennent leur poste, et la commandante, perplexe, s’interroge : « On n’est pas toujours les bienvenus sur le dos des océans, on ne peut pas impunément s’agripper à leur crinière. »
Un bateau à la dérive, c’est un peu le cargo fantôme…
Tout à fait, qui ne laisse pas tranquille la commandante, qui se demande si le bateau n’est pas en train de prendre le pouvoir. C’est sa vocation de marin qui revient en mémoire, la passion reçue de son père lui-même commandant au long cours. Que reste-t-il de la fête ? Des êtres liés par un secret, travaillés par leur finitude, la perspective de la mort, et qui revisitent leur existence, surtout la commandante qui a permis cette transgression : « Prenons-le comme un moment de joie, une fête qu’on aurait organisée à bord pour le plaisir de vivre un moment fort ensemble. Dites-vous que c’est un cadeau que j’avais envie de vous faire. » Et nous, qui restons sur le quai, on se demande : « Est-ce que les bateaux qui partent reviennent toujours ? »
Ultramarins, de Mariette Navarro, Chez Quidam éditeur.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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