Cette semaine, nous vous proposons un détour par la case de la BD de genre, à tendance horrifique ou pulp. De la série A à la série B, en passant par la Z, voici quelques ouvrages marquants sortis ces derniers mois. Toutes les histoires que nous allons évoquer sont à conseiller à un public averti.
Ed Gein, Autopsie d'un tueur en série de Schechter et Powell chez Delcourt
Il a inspiré de nombreux personnages de cinéma comme Norman Bates dans Psychose. Harold Schechter et Eric Powell nous proposent cette biographie dessinée d'Ed Gein, l'un des plus terrifiants tueurs en série américains.
Ce récit révèle la véritable histoire d'un malade mental sous l'emprise d'une mère abusive. Cette biographie factuelle d'Ed Gein se focalise sur son enfance et sa vie de famille malheureuses, et sur la façon dont elles ont façonné sa psyché. Il explore aussi le choc collectif qui entoura l'affaire et la prise de conscience que les tueurs peuvent être des citoyens ordinaires.
Cette bande dessinée nous propose un récit sans complaisance et traité de manière factuelle avec assez peu de romance rajoutée par les auteurs qui nous expliquent par exemple avoir créé le personnage du journaliste pour représenter l’ensemble des journalistes qui avaient couvert l’affaire. Ils retracent de manière chronologique l’enfance, l’adolescence et la vie d’adulte d’Ed Gein avant d’arriver aux crimes commis par ce dernier. Attention, cette histoire peut soulever votre estomac car tout ce qui y est narré a bien eu lieu, à la fin des années 1950. A la manière d’un Truman Capote et son roman culte De Sang Froid, le duo d’auteurs a réussi son coup en nous plongeant dans l’horreur de manière clinique, descriptive et somme toute assez objective avec une représentation de la vie américaine lors de la première moitié du siècle dernier dans les petites villes de campagne. [...] Un travail de premier plan pour Eric Powell. L’ouvrage est en lavis de gris, ce qui renforce le côté glacial et neutre de la narration, tout en renforçant le côté rétro de l’époque. Ici, le dessinateur se contente souvent de souligner par petites touches, notamment sur les gros plans de ses personnages, la méchanceté de sa mère ou la naïveté d’Ed Gein. Seuls les personnages sont encrés, ce qui souligne que ces derniers sont bien le cœur de cet ouvrage qui offre une mise en page des plus classiques. Et même si les auteurs ne se complaisent pas dans l’horreur, attention toutefois, il y a plusieurs scènes assez dures. Il n'est pas question de s'étaler sur tout, mais bien de saisir l'ampleur du désordre psychique d'Ed Gein. Le duo d’auteurs explore cette vie comme un documentaire, et graphiquement le prestation d’Eric Powell est remarquable. Cependant nous rappelons qu’il s’agit d’un album à ne pas mettre entre toutes les mains !
Les seigneurs de la misère d'Eric Powell chez Delcourt
LES SEIGNEURS DE LA MISÈRE est une organisation mystérieuse qui lutte contre une entité démoniaque vicieuse. Le Goon est de retour ! Et il se trouve mêlé à cette histoire mais parviendra-t-il à s'en sortir ? Un autre récit, LA DIABLA, complète ce dernier. Cette justicière devrait apparaître aux côtés du Goon pendant son exil, et raconter l'aventure du héros avec quelques autres nouveaux personnages facétieux.
Même si le scénario de ces 80 pages proposées est somme toute très classique et tient sur un timbre poste : à savoir une équipe de criminels (mais au grand cœur) engagés de force pour lutter contre une menace extrême, nous l’avons déjà lu ou vu des dizaines et dizaines de fois mais l’auteur parvient à nous faire entrer facilement dans son univers que l’on soit habitué ou non à ses personnages. Il y a un côté pulp, d’aventures simples, qui fait que l'on accroche de suite et l’intérêt ne flanche pas, aidé il est vrai par un second degré bienvenu et surtout par une partition graphique très réussie. Powell excelle dans un semi-réalisme de grande qualité - ici teintée de cartoon - sans oublier un mélange de techniques, crayonnés, lavis ou encore encrages traditionnels pour varier les différentes ambiances du récit qui permet à ses Seigneurs de la Misère de sortir du lot par rapport aux autres bandes dessinées du même type.
Lowreader du collectif Label 619 chez Rue de Sèvres
LowReader est la nouvelle création du Label 619, une série d’anthologie d’histoires courtes de suspense, d’horreur et d’exploitation, dirigée par Run. Chaque numéro proposera trois histoires complètes. Au fil des pages, Lazare le corbeau jette un regard cynique sur les histoires présentées, et fait office de fil rouge tout au long du recueil. Les récits de Lowreader sont entrecoupés d’articles, de billets d’humeur, de fausses pubs… autant d’entractes destinés à donner des clés de compréhension au lecteur, de le distraire, de l’amener sur de fausses pistes, ou de faire retomber la pression avant un nouveau shot d’adrénaline. Une nouvelle littéraire illustrée sera aussi de la partie dans chaque opus… Suivez le corbeau !
Mud et Nicolas Ghisalberti, RUN et Guillaume Singelin, Florent Maudoux vous proposent les 3 histoires de ce premier volume.
Tout comme le cinéma Bis auxquels rendent hommages ces histoires, le contenu de l’album mise sur l’ambiance de ces films d’exploitations avec des histoires entremêlées de courriers de lecteurs pas tout à fait nets et autres publicités absurdes. Ça ne se veut pas vraiment subtil même si les dossiers et articles qui accompagnent chacune des 3 histoires sont, de fait, de bonnes factures et apportent des informations intéressantes sur les récits que nous venons de lire. Dans cette anthologie, à la manière d’un vieux conteur, un corbeau vient nous faire la morale sur l’histoire que nous venons de lire. Et comme pour toute anthologie, nous avons autant d’ambiances différentes que d’auteurs. La première Devil’s Key raconte la rencontre d’un groupe de musiciens métalleux avec le diable et ses acolytes après avoir vendu leur âme en ayant signé pour une publicité. Ce récit raconté à la manière d’un Evil Dead sur un mode très violent et sanglant tranche avec ses illustrations très cartoon aux couleurs flashy. La seconde histoire se veut plus sérieuse où la tonalité horreur et pulp disparaît presque. Avec Mr Sato, les auteurs nous content l’histoire d’un grand-père qui passe pour transparent aux yeux de ses contemporains et qui se fait harceler par des jeunes de son quartier. Ce récit se révèle être une belle surprise autant visuellement avec le personnage de Mr Sato et ses traits de visage fantomatiques que dans son exploration de la culture des armes au Japon. Le troisième et dernier récit She-Wolf & Cub renoue avec un récit dans la plus pure tradition des films de série B, voire Z : une mère de famille et son tout petit bébé aux prises avec un gang de motards loups-garous qui terrorise une petite ville. Rien d’extraordinaire mais le pulp et le fun tournent à plein pot d’échappement ! Pour les amateurs de sensations fortes sans concessions et retrouver le plaisir sur papier des films Grindhouse, vous aurez votre dose de divertissement.
M*F*K*2, T1 Leaving D.M.C de RUN chez Rue de Sèvres
Sept ans après les évènement de Dark Meat City, Vinz et Angelino mènent une vie paisible. Angelino est toujours livreur de sushi, et commence à apprécier Dark Meat City en pleine gentrification. Mais voila que sur les réseaux sociaux, un internaute anonyme, un certain « Ω », prétend vouloir réinformer le peuple, et crée des dissensions fortes au sein des communautés de la ville.
Après un incident de type « Pizza Gate » dans le sushi bar où il travaille, conséquence d’une désinformation anti-japonaise sur les réseaux sociaux, Angelino est contraint de quitter la ville. Accompagné de Vinz, ils sillonnent la Californie dans un camping-car, à la recherche de Willy, dont ils sont sans nouvelle depuis sept ans.
La série Mutafukaz dynamite les différents genres pour offrir une série B (ou Z) totalement réjouissante, pour qui aime placer tous les curseurs aux valeurs maximum. Ici, l’auteur dénonce à tour de bras les fake news et le rôle que jouent les réseaux sociaux. De nombreux clins d’oeils, comme à son habitude, parsèment ce premier volume de la saison 2. Camping car oblige, nous pensons à la série Breaking Bad. A vous de trouver les autres. Côté dessin, RUN nous propose toujours son style au croisement du manga, du comics, du dessin animé et de la BD traditionnelle. Ses planches et son découpage sont constamment dynamiques : l’auteur a toujours une variété de mise en scène originale à proposer à chaque page. Les couleurs sont toujours très réussies et imposent leurs ambiances. A l’occasion de cette virée barrée( et quelque peu explosive), RUN continue de s'aventurer joyeusement dans les dérives de nos sociétés sous le prisme de la série B (voire Z totalement assumée).
Reckless de Brubaker et Phillips chez Delcourt
Ethan Reckless est un ancien étudiant radical. Son job? Régler les problèmes. Toutes sortes de problèmes, quels qu'ils soient... à condition d'y mettre le prix. Les activités d'Ethan Reckless lui ont fait rouler sa bosse, comme on dit. On est en 1985 et tout va bien pour lui... Jusqu'à ce qu'une femme disparue dérange l'équilibre de sa vie. Il sera amené à traîner dans les bas fonds d'Hollywod pour s'en sortir !
Reckless est un ouvrage conseillé aux amateurs de polars hard-boiled, basiques, typiques des années 80, période à laquelle se déroule justement cette histoire. Dans ces ouvrages, on retrouve de nombreux stéréotypes du polar, la violence y est présente et l’écriture est moins fine que dans la série CRIMINAL (fortement recommandée) du même duo d'auteur, mais c’est un souhait du scénariste de coller à cet esprit série B. Ce second tome est aussi efficace que le premier, avec une enquête sans temps morts et de l’action au rendez-vous. Avec cette voix off désabusée classique du genre que ce soit au cinéma ou en bande dessinée. Il manque ici le côté intimiste du premier tome (qui revenait sur le passé de notre héros), qui apportait une belle valeur ajoutée (qui manque quelque peu ici) mais pour les amateurs de polars sans prise de tête, et surtout si vous avez apprécié le premier volume, ce deuxième volume de Reckless est fait du même bois. Au dessin, on retrouve un Sean Phillips au style reconnaissable entre mille et qui bénéficie, une nouvelle fois, d'une colorisation réalisée par son fils, pour un visuel aux couleurs rétros réussi. Si le trait est aussi plus grossier et moins fin que sur le premier volume, il colle toujours parfaitement au propos pulp de cette série, en étant toujours très expressif et nerveux. Et même si l’on perd en précision, les ambiances prennent le pas sur le reste.
Programmation musicale :
Me and the devil, Gil Scott-Heron
Jeanne et Alexis vous donnent rendez-vous pour leurs coups de cœur du moment : romans noirs, littérature jeunesse, bandes dessinées...
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