Voici les dernières nouvelles du Nobel de littérature 2008 Jean-Marie Gustave le Clézio. Huit textes de longueur variable, avec des personnages en errance, fuyant la guerre, la faim, la violence. Des histoires d’aujourd’hui et d’un peu partout, de l’île Maurice au Liban, en passant par Paris ou l’Amérique latine. Des histoires qui racontent avec, malgré tout, une certaine poésie ces chemins d’exil et d’épreuves.
Voici des textes qui ont pour ambition de nous déranger, comme l’indique le sous-titre puisqu’il s’agit « des nouvelles des indésirables », ces personnes que nous ne voyons plus. L’écrivain s’en explique en 4e de couverture : « Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive. » A ces héros anonymes, Le Clézio donne un nom, et un destin, à l’exemple de Maureez Simon, orpheline, fuyant une tante acariâtre, un pensionnat sévère, avant de trouver refuge dans la forêt : « Cette fille était transie de froid, des vêtements trempés par la pluie, et dans ses yeux la peur, la méfiance, peut-être aussi une lueur de colère. » Il y a parfois un sursaut, une bonne fée, une rédemption possible, comme une revanche : « Maintenant, elle se sentait sûre d’elle, de ce qu’elle devait faire de sa vie. Il n’y aurait rien d’autre que la musique, le chant, les hymnes. »
Des personnages qui nous renvoient à des questions de société très actuelles…
Le Clézio nous raconte le destin d’enfants poursuivis par la guerre, de gamins victimes de la folie des hommes. Des enfants capables de ruse et d’imagination pour échapper aux griffes de la violence. « Il faut voyager propre si on ne veut pas être pris. » Et voyager léger, même pour les adultes : « Quand je suis parti de Tata, quand j’ai quitté tout ce que j’aimais, je n’avais rien à emporter. J’ai emporté ce que j’avais de plus précieux, vos noms. Ton nom surtout, Oriya. Il est très doux, je le répète chaque jour, chaque nuit. » Ce nom qui reconnaît la personne. L’ancien DRH déchu en sait quelque chose : « Il a perdu son nom, il est devenu quelqu’un d’autre, un invisible qui passe ses journées assis sur un bout de trottoir à regarder les gens qui passent. » Le nom nous inscrit dans l’histoire, dans l’espace : « Je dis aussi les noms que je connais, les villages, les marchés. Ils sont comme les noms de ma famille. »
Fuyant les villes, ils trouvent refuge dans la nature, ce qui n’est pas sans danger…
« Pourquoi suis-je arrivé dans la forêt ? D’où est-ce que je venais, pourquoi me suis-je arrêté ici, dans ce lieu insignifiant, qui porte un nom un peu ridicule ? », s’étonne cet homme errant qui n’échappe pas à l’effroi : « La forêt est un mur vivant, quand tu le traverses, tu n’en reviens jamais, un monde de nuit, de pluie, d’animaux furtifs, de jaguars et de pumas, de tapirs et de cerfs, un monde d’insectes, tiques, punaises, aoûtats, moustiques et moucherons, les vipères fer-de-lance, rapides comme des anguilles ». Tout un monde inhumain qui constitue pourtant un refuge pour les être perdus. Le Clézio se fait porte-voix, brosse ces destins à la manière d’un conte ou plutôt de fables contemporaines qui nous bousculent et nous mobilisent. Comme une invitation faite aux lecteurs à suivre l’écrivain qui murmure encore : « pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir ».
« Avers, des nouvelles des indésirables », de Jean-Marie le Clézio, paru chez Gallimard.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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