Marque Page vous invite, cette semaine, à découvrir 3 bandes dessinées et un roman jeunesse où les contes et légendes servent les récits de leurs auteurs.
Friday de Brubaker, Martin et Vicente chez Glénat
Quand Friday Fitzhugh revient à Kings Hill pour les vacances de Noël, la neige tombe à gros flocons… Elle qui a passé son enfance dans cette petite ville à élucider des mystères en tout genre aux côtés de son meilleur ami, Lancelot Jones, pensait bien avoir tourné la page en entrant à l’université. Mais il lui suffit de revoir Lancelot pour se laisser embarquer dans une nouvelle aventure ! Petit prodige local mal-aimé de tous, ce garçon a toujours su résoudre les affaires les plus occultes de la région avec la bienveillance du shérif local. Pour autant leurs retrouvailles n’ont rien d’idyllique et malgré le lien fort qui les unit, les non-dits subsistent… Ils ne sont plus des enfants désormais. Pour l’heure ce qui inquiète Friday c’est cette étrange apparition dans les bois environnants !
Ed Brubaker ne peut s’empêcher de faire du polar, et nous allons suivre la jeune Friday dans son enquête aux côtés de Lancelot mais aussi dans ses sentiments : elle qui souhaitait au départ, durant ses vacances, faire le point sur sa relation avec Lancelot. Sont-ils seulement amis ou bien sont-ils amoureux ? Et pas le temps de se poser des questions que Lancelot l’embarque dans une mystérieuse affaire qui touche la ville. Le scénariste mélange habilement réflexions adolescentes, une enquête en cours et quelques éléments du passé pour, bien vite, mieux nous faire connaître Friday, notre héroïne. Ainsi, on découvre une jeune fille sportive, plutôt sûre d’elle, qui n’avait pas peur de se frotter à des garçons plus grands qui martyrisait le pauvre Lancelot. Ajoutez à cela, des histoires, contes et légendes locales aux inspirations lovecraftiennes, et vous obtenez un résultat étonnant. On sent le plaisir récréatif du scénariste se permettant plus de liberté que dans ses écrits habituels et c’est cela qui rend Friday passionnant : nous ne savons pas vraiment où nous nous situons. Dans un polar classique à hauteur de jeunes adultes ? Ou bien une chronique amoureuse fantastique ? Entre les légendes et les histoires que se racontent Friday et Lancelot, nous ne savons pas à quoi nous attendre pour la suite que nous attendons, elle, avec impatience, avec ce cliffhanger insoutenable laissant notre héroïne bien désarmée. Cela fait près de 30 ans que Brubaker propose ses plongées dans la noirceur de l'âme, à travers ses nombreuses séries polar et ses incursions dans le monde des super-héros. Il surprend quelque peu ses lecteurs avec Friday et ces deux jeunes héros qui viennent juste de finir le lycée. Et met habilement en avant les sentiments et pensées de la jeune fille qui se perdent dans la tempête de neige qui sévit sur la ville. Cela permet de rebondir sur les dessins de l’espagnol Marcos Martin, qui a lui aussi pas mal versé dans les comics de super-héros, mais avec un trait un peu atypique et des ouvrages remarqués comme Private Eye et Barrier. On sent que le dessinateur prend plaisir, lui aussi, à mettre en scène cette ville digne d’un roman de Lovecraft actualisé, ainsi que cette ambiance hivernale et cette neige qui tombe à flots : on sent un vrai plaisir récréatif de la part du dessinateur qui se permet différents styles et mises en pages lors de l’évocation des légendes locales. La bouille de Friday sort du lot, mais tous les personnages sont bien caractérisés et l’on peut aussi souligner le travail sur la couleur au diapason du travail du scénariste et du dessinateur !
The Magic Fish de Trung Le Nguyen chez Ankama
Hiền et son fils, Tiến, aiment se lire des contes de fées. Une façon pour la mère de perfectionner son anglais et de transmettre son héritage au jeune garçon qui n’est jamais allé au Vietnam. Pourtant, si le vietnamien de Tiến s'améliore au fur et à mesure de leurs lectures, une conversation lui échappe toujours : comment dévoiler à ses parents qu’il aime les garçons ?
Dans The Magic Fish, les contes et légendes sont au cœur du récit de l’auteur et permettent de faire le lien entre les personnages.
Américain d'origine vietnamienne, très attaché aux contes de fées, Trung Le Nguyen fait de The Magic Fish un récit en partie autobiographique. Un ouvrage solide et ambitieux qui traitent de nombreux sujets et temporalités : la découverte de l’homosexualité bien sûr et la difficulté d’en parler à sa famille mais d’autres thématiques sont traitées comme l'immigration de ses parents et l'importance des liens familiaux, notamment de sa mère et sa grand-mère, qui, elle, est restée au Vietnam, et aussi l’amitié car Tien peut compter heureusement sur sa meilleure amie. Et différentes temporalités donc car dès la première page, trois récits s’imbriquent, caractérisés judicieusement par des colorations différentes : le rouge/rosé pour le temps présent de Tiên et Hièn, le jaune pour le passé de Hien, la mère de notre adolescent, et les histoires des contes de fées sont quant à elles dans des teintes bleutés ou violettes. Malgré tous ces récits qui se répondent et s’imbriquent, la narration est très fluide, en passant d’une couleur à l’autre, le lecteur sait toujours où il en est. De plus les contes que se lisent Hien et Tien voire Hien et sa tante, éclairent la situation présente et c’est bien par le biais des mots et des histoires qu’arriveront à s’entendre cette mère et son fils. L'auteur réussit à aborder intelligemment et de façon originale ses sujets à travers les contes. Il nous plonge dans une histoire émouvante et nous montre le pouvoir que peuvent parfois avoir les mots et les histoires pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et même mieux se connaître soi-même. Par ailleurs, l’ouvrage est aussi intéressant dans son rapport sur les contes interprétés dans différentes cultures : ainsi nous avons plusieurs versions de Cendrillon, une version allemande et vietnamienne. L’auteur d’ailleurs revient en fin d’album sur le pourquoi de ces choix et les différences graphiques apportées à chacune des versions liées au contexte et à l’époque de celle ou celui qui raconte l’histoire.
Une narration et une histoire réussie et servie par un dessin au trait assez fin presque ligne claire. Dans un registre manga semi-réaliste, il donne du relief à ses personnages, notamment dans les chevelures très bien rendues. L’artiste sait aussi faire preuve de variations dans sa mise en page et faire en sorte que les 200 planches de cet album se lisent avec un grand plaisir. The Magic Fish est un bel album qui mêle de manière fort réussie, contes et vie quotidienne pour parler de transmission, d’exil et d’intégration, d’amitiés, d’amour et d’acceptation de soi, à travers son jeune héros et sa mère dont nous suivons avec tendresse et bienveillance leur parcours.
The Midnight Order - Mathieu Bablet (et collectif) chez Rue de Sèvres
Johnson et Sheridan, deux membres de l'Ordre de Minuit, ont pour mission de traquer à travers le globe les sorcières trop puissantes, celles qui sont un danger pour le monde et pour elles-mêmes. À chaque capture c'est la même chose : les mains des femmes sont invariablement tranchées, afin de tarir la source de leurs pouvoirs.
A mesure que Sheridan se questionne sur la légitimité de ses actions au sein de l'ordre, Johnson va faire face à une problématique cruelle : la prochaine sorcière surpuissante à traquer est sa propre sœur. Entre indéfectible fidélité à l'Ordre et remise à plat de cette organisation séculaire, les aventures de ces deux sorcières vont les mener à une confrontation inévitable.
Après 4 volumes développant l’univers de l’Ordre de Minuit dans ces recueils collectifs les Midnight Tales, les contes de minuit, est sorti en fin d’année 2022, un nouveau recueil d’histoires cette fois-ci chez Rue de Sèvres qui a récupéré le label 619 à l’origine du projet. Ces contes de minuit vous racontaient, à chaque numéro, 3 à 4 histoires mystérieuses où les héroïnes, des Magical Girls, des magiciennes en puissance, vous embarquaient dans des univers mystiques où rôdent des créatures surnaturelles et où surviennent des phénomènes très paranormaux ! Tout en développant en arrière plan, l’univers de l’Ordre de Minuit qui a pour mission de traquer à travers le monde, les sorcières trop dangereuses pour l’humanité. Et comme The Midnight Tales, cette bande dessinée, The Midnight Order est un recueil collectif où de nombreux dessinateurs se succèdent pour raconter l’histoire imaginée par Mathieu Bablet. Voici quelques noms : Allanva, Rours, Sumi, Claire Fauvel ou encore Titouan Beaulin, le dessinateur de La Chevaleresse dont nous vous avons parlé ici à Marque Page. Mathieu Bablet dessinant quant à lui l’introduction, l’épilogue et les interludes entre chaque histoire. Sans oublier les différents articles comme ceux sur l’histoire de la magie du moyen-âge à aujourd’hui, ou la traditionnelle nouvelle illustrée elle aussi par Mathieu Bablet. A l’image des Lowreader publié chez Rue de Sèvres également sous le label 619, des albums collectifs aux dessinateurs aux univers différents, The Midnight Order se retrouve avec les mêmes problématiques du goût du lecteur qui se voit préférer tel ou tel style de dessinateur.rice car si nous avons une histoire complète menée par le même chef d’orchestre - Mathieu Bablet - chaque chapitre ou histoire est illustré par un auteur différent. On peut cependant souligner la très belle couverture de ce recueil, ornée de dorures, rappelant un grimoire magique des siècles passés et nous faisant remonter aux origines, peut-être, de cet ordre mystérieux mais les histoires que vous lirez dans ce recueil sont bien contemporaines et se déroulent dans notre monde actuel nous faisant même voyager avec Johnson et Sheridan aux 4 coins du monde. Ce Midnight Order peut se lire indépendamment des Midnight Tales, en se recentrant sur l’histoire de Johnson et Sheridan, mais peut aussi être lu comme une conclusion à une première saison de ces contes de minuit. Magie, sorcellerie, démons, voici le programme de ce copieux grimoire de près de 300 pages qui montre que les pires monstres ne sont pas toujours ceux qu’on croit.
Coup de coeur de la semaine
Là où règnent les baleines de Jolan C. Bertrand chez l'école des loisirs
Roanne adore les romans d’horreur, d’accord, mais ce n’était pas une raison pour l’envoyer passer l’été dans un phare en ruines, chez son oncle Kierzic qu’elle ne connaît même pas ! Cet homme aussi grincheux que mystérieux vit en solitaire sur un îlot planté au large de la côte Atlantique, avec pour toute compagnie une mouette rieuse et les rumeurs de l’océan. Dès son arrivée, Roanne est déterminée à s’en aller au plus vite de ce tas de cailloux désert. D’autant plus que, dans la bourgade du coin, on raconte que des naufrages auraient lieu les soirs de pleine lune. Au même moment, un bateau de pêche est porté disparu. Et d’où vient cette voix d’enfant qui l’appelle chaque nuit ? Plus le temps passe, plus Roanne se demande si Kierzic ne serait pas un naufrageur...
Un véritable roman d’aventures autant que de fantasy qui évoque tour à tour la biodiversité et le réchauffement climatique, la confiance en soi et en autrui, ainsi que l’acceptation de ce que l’on est, notamment face aux critiques et aux jugements, qui peuvent être aussi nombreux que douloureux, surtout à l’adolescence. Et Roanne découvrira que la famille est un roc aussi solide que les rochers qui entourent l’île et que la différence est aussi un allié. Dans ce très beau roman initiatique, la magie côtoie l’humour et nous sommes autant transporté.es par les courants et les fonds marins (de magnifiques descriptions parsèment la lecture) que par l’émotion (où l’on passe du rire aux larmes comme autant de vagues sur les récifs bordant le phare. Là où règnent les baleines est écrit par Jolan C. Bertrand et est sorti chez l’école des loisirs dans la collection Médium. Un véritable coup de coeur conseillé aux très bons lecteurs à partir de 9-10 ans. Notez qu’en plus d’une magnifique histoire, nous avons aussi dans les mains un très bel objet grâce aux magnifiques illustrations d'Hélène Let et une mise en page de toute beauté !
Programmation musicale :
Penn Ar Roch, Yann Tiersen (Eusa, 2016)
Jeanne et Alexis vous donnent rendez-vous pour leurs coups de cœur du moment : romans noirs, littérature jeunesse, bandes dessinées...
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