Dans ce récit poignant, un des derniers témoins d'Auschwitz raconte l'horreur des camps et l'énergie de la vie.
L’auteur a 96 ans. Elle parle, elle raconte… Elle ravive douloureusement sa mémoire pour dire une fois encore l’horreur des camps, l’inhumanité de la shoah à l’œuvre, elle qui a découvert l’enfer d’Auschwitz-Birkenau à l’âge de 17 ans. Il est temps me direz-vous, même si les récits ne manquent pas. Ce petit livre vient après Si c’est un homme de Primo Levi, après La nuit d’Elie Wiesel, après L’écriture ou la vie de Georges Semprun, après L’espèce humaine de Robert Antelme, et j’en passe, et je n’oublie pas les films et documentaires si nombreux. Et pourtant, pourtant, ne laissons pas partir les derniers témoins sans écouter une fois encore ces paroles rudes, sans pathos, qui sont une page de notre histoire universelle : « J’ai fait deux ans de camp. Vingt-cinq mois et trois jours très exactement, écrit Julia Wallach. J’ai été arrêtée le 23 avril 1943, un peu avant mes dix-huit ans, et libérée le 26 mai 1945. » Elle se souvient, ou plutôt a pu reconstituer l’histoire : Drancy, le wagon à bestiaux : « C’était le convoi 55. Nous étions 1002. En arrivant, j’ai reçu le numéro 46540. En 1945, 115 d’entre nous sont revenus ».
Un récit tout simple, qui décrit la situation avec pudeur. Il y a même deux récits en un seul dans le livre de Julia Wallach : avant de décrire Birkenau, elle raconte la vie en famille, dans le Paris des années Trente, quand le père travaille le cuir, quand ses parents ont fui Varsovie pour se réfugier à Paris, ville lumière, et ces jours heureux du côté de Ménilmontant. Et puis « les Allemands sont entrés dans Paris le jour de mes 15 ans », raconte l’adolescente d’hier. Et tout tourne au cauchemar : « Mes souvenirs d’enfance me précipitent tout droit dans la bouche des camps où mes parents ont été assassinés. » Les camps, que l’auteur se décide à aborder, comme si elle refusait encore d’avancer dans l’horreur : « J’en ai vu se faire dérouiller. Moi, j’évitais les coups. Je ne me faisais pas remarquer. J’étais murée à l’intérieur, je me faisais oublier. Je m’oubliais. Mon cerveau s’était arrêté, il ne restait que l’instinct. » Survivre. Et espérer, en dépit du travail, de la faim, des maladies, et de la marche de la mort aussi, quand les nazis battus, entraînent dans leur fuite les rescapés : « Ceux qui n’ont pas connu les marches de la mort ne savent rien. »
Avec cette folle énergie pour survivre et le besoin de témoigner qui s’impose... Et dire aussi qu’il y a des solidarités qui naissent de l’enfer. Ceux qui ont survécus peuvent en témoigner : « C’était un désordre sans nom. On risquait à chaque instant de perdre ceux avec qui on venait de traverser les plus grandes épreuves, de ne jamais revoir ceux qui nous avaient sauvé la vie. C’est ça la guerre, la perte de tout ce à quoi on tient. » Avec l’aide, pour l’écriture, de la romancière et essayiste Pauline Guéna, Julia Wallach nous livre aujourd’hui un témoignage au-delà de la mémoire : « Je ne sais plus, la mémoire me fait défaut. Il y a des jours où tout s’efface. Mais pas la perte. Ni la colère », écrit-elle. Depuis des années, et en dépit de l’âge, elle a rencontré des collégiens, elle a raconté son histoire. Et comment ne partagerait-elle pas ce qu’elle a traversé ? c’était même l’ultime message de son père, en descendant du wagon scellé, sur le quai funeste d’Auschwitz : « Je ne survivrai pas, mais toi, tu es jeune. Vis, rentre à la maison, et raconte ce qu’on nous a fait. » Elle laisse une trace. D’autres se souviendront de ses paroles, de ces vies disparues. Et Julia Wallach est confiante : « Nos enfants sont chargés de ces vies qui n’ont pas été vécues ».
« Dieu était en vacances », de Julia Walach avec Pauline Guéna, Grasset.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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