L’épopée tragicomique d’Étienne Choulier et de Stefán Meinhof – soit la vie et l’œuvre de deux linguistes anachorètes guettant l’éclair de génie, deux aventuriers modernes de la langue française, qui se font la promesse d’en révéler les trésors insoupçonnés, et d’offrir à la postérité de nouvelles théories du langage, aussi inattendues qu’inoubliables. C'est "En mode avion", de Laurent Nunez, paru chez Actes Sud.
Précisons-le toute de suite, l’auteur n’est pas l’ancien secrétaire d’Etat auprès du ministère de l’Intérieur, même si, c’est vrai, il y a chez lui une certaine tentation à se préoccuper de la police des lettres, dans un roman drôle, plein de saveur et de pirouettes. Entrent en scène deux professeurs grammairiens, Etienne Choulier et Stefan Meinhof, qui se sont connus sur les bancs de la fac, à la Sorbonne bien sûr. Et ils ont de l’ambition : « ils voulaient quelque chose de très simple et de très compliqué à la fois. Ils voulaient trouver. » Trouver ? mais quoi ?, allez-vous demander. Peu importe, découvrir quelque chose pour entrer dans la postérité comme certains privilégiés donnent leur nom à une étoile de notre immense galaxie. Eux, leur terrain de prédilection, c’est la langue. Aussi nos deux savants aux airs surannés se réfugient à Fontan, un petit village des Alpes-Maritimes, estimant qu’il n’y a rien de tel que le calme pour devenir chercheurs. Le temps file – « comme cela passe vite quand on prend son temps ! » -, mais nul doute, « c’étaient de grands hommes, et nul encore ne le savait. » Ces Bouvard et Pécuchet d’une autre époque suivent les conseils de Maeterlinck : « il importe de vivre comme si l’on se trouvait toujours à la veille de la grande découverte et de se préparer à l’accueillir… » Suspense…
De l’humour, un jeu de lettres et de style…
L’auteur est lui-même un professeur de lettres et jongleur de mots, éditeur et critique littéraire, chercheur peut-être aussi, comme ses personnages, prêts aux plus grandes découvertes « Pour nous ouvrir à des idées qui n’ont pas encore été perçues, et qui en principe sont donc inattendues. » Tel Newton au pied de son pommier, voici Dupont et Dupond qui se concentrent, alors que la Seconde Guerre gronde autour d’eux. « Je ne suis pas dupe, nous dit l’auteur : les deux hommes devaient tout de même s’ennuyer. Pour user d’une image très juste bien qu’anachronique, disons que nul ne peut demeurer longtemps en mode avion. » Il ergotent sur le ton des conversations, cuisinent le parler à toutes les sauces, « en espérant découvrir une étrange tournure de phrase, une légère faute de français, ou l’union incongrue de deux mots qui leur aurait permis de contribuer enfin à la Science et à la Linguistique. » Il devait arriver ce qui arriva : ces deux-là finirent par élaborer un théorème que je me garderai bien de vous révéler.
Un livre servi par une maîtrise de la langue
Comme l’explique l’auteur, « toute discussion n’est possible que parce qu’il existe entre deux interlocuteurs ce qu’on appelle un principe de coopération : ainsi les propos de chacun doivent s’intégrer avec les propos de l’autre. » Et donc, selon le principe coopératif, je confirme : Laurent Nunez s’amuse, nous amuse, sans pieuse dévotion pour la langue, se moquant même un peu des thuriféraires du style. Il joue de ces audaces poétiques qui viennent réveiller les sens : « La terre est bleue comme une orange : cela ne veut pas rien dire… » ainsi, on n’en a pas fini avec les mots… allez, une dernière tirade : "Pourquoi tout attaché s’écrit-il séparément, alors que séparément s’écrit tout attaché ? » A méditer…
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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