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Guerre et prêches

Un article rédigé par Charles Neuforge - RCF Liège, le 6 février 2023 - Modifié le 18 mars 2024

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine fait aussi rage sur le plan religieux et divise l’Église orthodoxe.

Image d'illustration : Pexels © Ron LachImage d'illustration : Pexels © Ron Lach

Le 21 février 2022, la guerre entre la Russie et l’Ukraine n’a pas encore officiellement commencé. Le président russe ne laisse toutefois plus planer le moindre doute sur les intentions du Kremlin. Dans un discours télévisé à la nation, Vladimir Poutine reconnaît l’indépendance de Donetsk et de Lougansk, les deux républiques séparatistes prorusses en Ukraine. Il accuse notamment le gouvernement Kiev de préparer un génocide « qui touche quatre millions de personnes », Russes et Russophones habitant le pays. Un des arguments qu’il utilise pour justifier sa prise de position concerne la religion. « Kiev continue de préparer une répression contre l'Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou, déclare-t-il. Les autorités ukrainiennes ont cyniquement transformé la tragédie de la scission de l'Église en un instrument de politique d'État ». Trois jours plus tard, les chars de l’armée rouge franchissent la frontière ukrainienne, la religion est envoyée en première ligne, aux côtés des militaires. 

 

Guerre de clochers

En réalité, cela fait un certain temps que le torchon religieux brûle entre Moscou et Kiev. L’annexion de la Crimée met le feu aux poudres en 2014. A l’époque, l’invasion passe mal dans une partie de l’Église orthodoxe ukrainienne qui dépend intégralement de l'Église orthodoxe de Russie. En 2015, le Patriarcat de Kiev proclame son autonomie vis-à-vis de Moscou. L’indépendance reçoit le feu vert du Patriarcat œcuménique de Constantinople (Istanbul) 3 ans plus tard. Elle est officialisée en 2019, contre l’assentiment de l’Église orthodoxe du Patriarcat de Moscou qui refuse de la reconnaître. En Ukraine, l’Église orthodoxe est donc coupée en deux : l’une dite « autocéphale », indépendante hiérarchiquement et emmenée par le métropolite de Kiev, tandis que l’autre dépend du patriarcat de Moscou et de son leader, le patriarche Kirill, par ailleurs opposé au désir des chrétiens orthodoxes ukrainiens de prier dans leur langue. Selon le magazine géopolitique « Le grand continent », la première serait aujourd’hui la plus importante en termes de fidèles (15 millions, un quart de la population) tandis que la seconde (18% de la population mais 40 diocèses, 200 monastères et plus de 12 000 églises sous son contrôle) serait la plus riche. 

 

Bouclier contre Satan

Retour au discours de Vladimir Poutine. Si l’un des principaux arguments pour motiver l’invasion est la « dénazification de l’Ukraine », le président s’appuie aussi sur une justification qu’on pourrait qualifier de « mystique » : son opération spéciale ne serait autre qu’une véritable guerre sainte avec pour objectif la « désatanisation » du pays. « Lutte contre l’antéchrist pour sauver la civilisation russe face à une attaque de l’occident décadent », « Appel à l’union des chrétiens et des musulmans contre les forces du mal » : la propagande russe s’en donne à cœur joie sur ce thème. Dans un reportage consacré à ce sujet, la Radio-télévision suisse rappelle l’attitude du Patriarche Kirill, proche du Kremlin. Lui parle de « guerre contre le péché ». Au moment de la mobilisation, il déclare que « la mort au front était un sacrifice qui lavait de tous les péchés ». Sur le terrain, les choses sont plus « touchy ». L’Église autonome dénonce l’agression, quant aux prêtres dépendant de Moscou, ils ont tendance à éviter le sujet voire à manifester eux aussi leur opposition pour maintenir le lien avec leurs paroissiens. 

 

Enjeu

Dans ce contexte, le pape François appelle à la paix et essuie les critiques des deux camps. Kiev, berceau du christianisme orthodoxe depuis 988, est un enjeu essentiel. « C’est le leadership dans le monde orthodoxe qui se joue » analyse « Le grand continent ».  Le Patriarcat de Moscou représente près de deux tiers des orthodoxes (90 millions). Perdre l’Église d’Ukraine autonome (et les patriarcats qui la reconnaissent) pourrait rebattre les cartes, avec Dieu sait quelles conséquences.

 

Retrouvez l'entretien complet en studio du père ukrainien Mykhailo Shevtsov lors de cet épisode.   

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