Jusqu'au prodige, de Fanny Wallendorf, publié aux éditions Finitude, est un roman à vif, en pleine nature, face aux destinées de l'humanité en pleine Seconde Guerre mondiale.
La vie de Thérèse est singulière et en même temps symptomatique d’une histoire universelle. Thérèse a cherché refuge dans la nature alors que l’armée allemande a envahi l’Hexagone. Hélas, elle tombe entre les griffes du « chasseur » qui la séquestre et l’exploite dans une ferme isolée à l’orée de la forêt. « Il n’y avait aucune raison que je rencontre le mal, aucune, mais je l’ai rencontré », nous confie la narratrice. Même si cette ferme, en temps de guerre, constitue une protection dont se serait bien passée la jeune fille. Car Thérèse est une prise comme une autre sur le tableau de chasse du sinistre individu collectionnant les bêtes sauvages. « Un an après mon arrivée, je l’ai convaincu de m’emmener pister les animaux avec lui afin qu’il m’enseigne sa technique et son savoir, pour que je l’aide à capturer des spécimens rares ». On pourrait croire au développement d’un syndrome de Stockholm, vous savez cette situation où la victime commence à s’attacher à son bourreau, sauf qu’ici l’héroïne n’a qu’une obsession : parvenir à s’échapper pour rejoindre son frère, lui-même réfugié dans le maquis. Mais fuir n’est pas sans risque dans cette montagne peuplée de soldats, de résistants, de délateurs, avec le chasseur à ses trousses. « Il faut courir, il faut que je coure jusqu’à ce que la fatigue me fasse moins craindre la mort, jusqu’à ce que j’en arrive au point où l’évanouissement semble souhaitable, où la disparition fait moins mal que de garder les yeux ouverts dans ce cauchemar. »
Une course en avant pour sauver sa peau
Comme la réalisation d’une promesse, celle de retrouver le frère aimé, alors même que les années de guerre défilent, « pour nous le temps s’est arrêté, nous vivons dans un gigantesque présent sans contours », interroge Thérèse. Retrouver le temps qui s’écoule ne sera pas de tout repos, alors que les horreurs et les morts se révèlent à la fuyarde : « Nous avons été instruit par l’horreur de la guerre ; nous avons reçu, rétifs et terrorisés, un enseignement dont il ne sera pas possible de revenir et plus possible de se défaire. Et pourtant (…) l’espoir me reprend. » Il lui reste à traverser la montagne, personnage central de ce court roman : « La montagne est infinie et la forêt s‘y déroule inlassablement. » Et encore : « C’est dans la lumière que sont dissimulés les secrets, que la montagne avoue tout à qui sait déchiffrer ses rébus, fouiller dans ses plis. »
La nature est omniprésente, comme le reflet d’une permanence, en dépit des hommes insignifiants qui se réfugient dans la forêt éternelle. La narratrice croise Timothé, il faut se méfier de tous, poursuivre son chemin, trouver des alliés, par exemple suivre les traces notamment du prodige, que le chasseur voulait capturer. Mais ce grand renard au pelage noir est insaisissable : « J’explique un vallon, cherche en amont les endroits où se dépose l’eau de pluie, piste les écureuils qu’il aime chasser. Je ne le retrouve pas. Je quadrille le paysage en vain. » De cette terre brûlée, il faudra bien renaître. Echapper aux griffes et avancer. Le roman de Fanny Wallendorf est semblable à un long poème, à un conte initiatique, à une profession de foi : « J’avais foi en l’existence, et c’est ce que le Chasseur a tenté d’arracher de ma poitrine, ce qu’il haïssait en moi : la joie. » Une joie imprenable.
Jusqu’au prodige, de Fanny Wallendorf, est publié aux éditions Finitude.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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