La parole est au coeur du système judiciaire. Que vaut la parole de la victime? Quels sont les éléments qui forgent une conviction? Comment chercher la vérité dans les circonvolutions des témoignages? Réflexion d'une journaliste judiciaire sur le défi que représente rendre la justice, dans un roman haletant.
C’est une question de justice. C’est une histoire bien de notre époque et un roman plein d’enseignements. Lisa est une jeune femme de vingt ans, victime d’un viol cinq ans auparavant. L’agresseur a été condamné à dix ans de réclusion criminelle et fait appel : il doit donc être rejugé. Et pour ce nouveau rendez-vous éprouvant, la jeune victime prend contact avec Alice Keridreux, maître Keridreux, avocate : « je veux être défendue par une femme », explique Lisa. L’avocate est tentée de refuser : « depuis quelque temps, la dose quotidienne de noirceur qu’elle se prenait dans la figure lui semblait plus difficile à supporter ». On imagine en effet combien les gens de justice doivent lutter pour garder le moral. Venir en aide aux victimes tout autant qu’aux personnes jugées, telle est bien la mission des défenseurs : « Elle ne faisait pas partie de ces avocats qui considèrent que le seul rôle noble est de défendre les accusés », précise la narratrice. Sauf que, c’est un roman, et que l’affaire va devenir plus complexe qu’il n’y paraît…
Il faut se méfier des certitudes
Et comment réagir face au mensonge ? Se tisse petit à petit un lien entre la jeune femme et son avocate qui est confrontée à un cas de conscience : durant toute cette procédure, peut-elle protéger Lisa, peut-être même contre elle-même, ou doit-elle faire éclater la vérité ? Le titre nous donne un indice : la petite menteuse n’a-t-elle pas perdu pied ? « On était forcé de s’interroger sur ce qui avait permis à une jeune fille d’être crue si facilement, par autant d’adultes. » L’histoire fait écho à des questions de société très actuelles, à la dénonciation de toutes les agressions sexuelles dont les femmes sont trop souvent victimes, mais ce n’est pas la seule question du roman. « Il faut se méfier de ses certitudes », insiste l’avocate. Et c’est la difficile mission de juger qui est au cœur du lire. L’auteur, Pascale Robert-Diard, est chroniqueuse judiciaire au Monde depuis vingt ans, c’est dire son regard aiguisé sur la fragilité des témoignages, la quête prudente de la vérité, sur les enjeux d’un procès. « La qualité d’un procès dépend d’abord de celui ou celle qui le préside. (…) Vêtue de sa robe rouge, Maud Vigier n’était plus la même. Elle était devenue sa fonction. Tout ou presque, désormais, allait reposer sur elle. Le ton, le rythme, l’atmosphère de l’audience. » Ainsi s’exerce la justice des hommes.
Demi-mensonges et fausses vérités
« C’est ce qui est à la fois terrible et beau aux assises, écrit encore Pascale Robert-Diard. Au début on ne comprend pas comment un événement aussi dramatique a pu se produire. Et puis, plus on s’en approche, et plus on se dit que peut-être, la même chose aurait pu arriver chez soi. » C’est un livre courageux en période MeToo, qui rappelle tout à la fois la fragilité de la parole et l’urgence d’écouter les victimes. Et c’est la force de ce roman haletant : de l’enquête au procès, le lecteur est sur le fil ténu, en équilibre, témoin d’une histoire qui se construit sur la parole, qui peut être mensongère, instrumentalisée, déformée ou amplifiée. Il y a des demi-mensonges qui sont aussi des fausses vérités. Qu’il est difficile de juger !
La petite menteuse, de Pascale Robert-Diard, est publié à L’Iconoclaste.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !