Ouistreham
Les Enfants du jour J : Désiré, une enfance sous les bombes à Ouistreham
En partenariat avec Office de tourisme de Caen la Mer
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Jacques Braley avait 14 ans dans la nuit du 6 au 7 juin 1944, lorsque Saint-Lô a subi des bombardements meurtriers. Mais ce n’était pas encore l’heure de la Libération.
« Mardi 6 juin 1944. À 4 heures du matin, roulement continu, mais lointain, des pièces de marine. À 5 heures, Papa nous apprend que ce sont sans doute les préliminaires du Débarquement. Nous n’allons pas à l’école. Les avions rôdent, les esprits sont inquiets. Dans les rues, des affiches interdisent de circuler... » Cette description des événements du 6 juin 1944, Jacques Braley l’a écrite sur son cahier, alors qu’il avait 14 ans. C’est son père qui lui avait demandé de retranscrire tout ce qu’il voyait, des notes qui permettent à Jacques de raconter avec précision ce qu’il a vécu pendant cet été 1944.
Avant le 6 juin 1944, Jacques Braley a vécu de près l’occupation. Sans tout comprendre, l’adolescent était aux premières loges pour apercevoir l’activité des Allemands et les actes de son père résistant. En effet, la maison de la famille Braley, située à l’extérieur de Saint-Lô, était entourée par les services de la Gestapo d’un côté et par les services de la sécurité militaire de l’autre. « Tous les soirs, j’entendais les voix stridentes des secrétaires allemandes. C’était à l’heure du dîner, l’heure à laquelle on entendait avec le plus de précautions possibles la radio anglaise. » Si la radio était autorisée, il était en revanche interdit d’écouter la voix des Alliés.
De plus, par l’intermédiaire de la petite communauté protestante de Saint-Lô, un militaire allemand avait demandé à son père s’il pouvait se réunir chez eux avec d’autres soldats allemands pour lire la bible et prier. « Avant d’accepter, mon père s’est longtemps méfié, car il se demandait si ce n’était pas un piège qui lui était tendu. » Et pour cause, le père de Jacques faisait partie d’un réseau de la résistance, l’OCM, l’Organisation civile et militaire, une cellule de quatre personnes dont la mission était de récolter toutes les informations possibles sur la ligne de défense qu’on appelait le mur de l’Atlantique. De son côté, l’Allemand en question appartenait à un mouvement d’opposition au nazisme. « Il venait régulièrement chez nous avec quelques soldats allemands, évidemment de manière très discrète. Le contexte était particulièrement dangereux, mais comme je n’avais que 14 ans, je n’en avais pas vraiment conscience et mon père était très discret sur ces activités. » Les deux hommes établiront un lien cordial qui se transformera en véritable amitié.
Notre père nous a dit : "C’est le Débarquement"
Jacques se souvient, comme si c’était hier, de l’anniversaire de son père, le dimanche 4 juin. « On avait déjà des projets de vacances. Notre question était de savoir où nous allions passer nos vacances en juillet et en août. » Plus surprenant, il se souvient de l’aller-retour à vélo de son père à Caen, le lundi 5 juin, la veille du Débarquement. « Comme mon père savait que le Débarquement était imminent, il s’est obligé à revenir le soir même ! Il a fait 120 kilomètres en une journée, un sacré effort physique. » Pourquoi était-il allé à Caen ce jour-là ? Même après la guerre, Jacques n’a jamais pensé à le demander à son père, il suppose qu’il devait remettre des documents à un responsable de la Résistance installé à Caen.
Le 6 juin à 5 heures du matin, la famille Braley est réveillée par un grondement sourd, c’était l’artillerie de marine qui commençait à tirer sur les défenses allemandes. Leur père leur annonce que c’est le Débarquement. « Évidemment, on était particulièrement heureux de savoir que le Débarquement venait d’avoir lieu, et nous étions particulièrement optimistes, car on pensait que dans le courant de la journée, on verrait arriver les premiers soldats alliés. Mais cela ne s’est pas passé tout à fait de cette façon-là. »
C’est la fameuse nuit de feu du 6 au 7 juin. « Le soir même, au moment où nous nous mettions à table, il y a eu un bombardement très meurtrier. Vers minuit, deuxième bombardement. Des bombes incendiaires sont jetées la nuit. De la rue de la cabine, on voyait toute la ville embrasée, c’était particulièrement impressionnant. Il y a eu un troisième bombardement vers 2 heures et 3 heures du matin, tout le centre de Saint-Lô s’est mis à flamber. »
« C’est un autre débat de savoir s’il n’y avait pas d’autres moyens à utiliser pour atteindre l’objectif en question et pour éviter des centaines de morts. Il y a eu des tracts envoyés la veille, mais qui se sont perdus. On a été totalement surpris par ce bombardement terrible. » Au petit matin du 7 juin, Jacques et sa famille quittent définitivement Saint-Lô, s’engageant sur les routes de l’exode.
« Le matin du 7 juin, on est parti vers le Sud et après deux heures de marche, on est arrivé à Condé-sur-Vire. » Devant la gare de Condé-sur-Vire, Jacques et sa famille voient un chasseur-bombardier américain visant la gare. « Notre père nous crie de nous jeter à plat ventre. Moi, je relève la tête pour voir l’avion et j’aperçois le pilote lui-même, je vois la bombe se détacher. Et quelques secondes plus tard, je reçois un violent coup dans la tête. C’était un éclat de bombe qui m’a effleuré, qui m’a arraché le cuir chevelu. Je suis un miraculé, à quelques centimètres près j’aurais volé en éclat. »
Je suis un miraculé
Condé-sur-Vire, Troisgots, le Chefresne... Jacques, son frère, sa cousine, et ses parents sont hébergés de famille en famille, en descendant de plus en plus vers le sud du département. « On reculait au fur et à mesure que les Alliées avançaient. On était très près de la ligne de front et à plusieurs moments on a été particulièrement en danger à cause de bombes ou d’obus d’artillerie qui étaient tirés par les Alliés vers les troupes allemandes. » C’est là que son père lui dit : « Je te donne un cahier, un porte-mines et tu vas raconter ce que tu vois ».
Le 2 août 1944, Jacques écrit dans son cahier « jour de la libération », mais cela fut une journée rude. Ils habitaient alors au Chefresne, dans une famille amie. Le matin, le maire de Saint-Lô, réfugié dans une ferme voisine, arrive en courant pour les prévenir de l’arrivée des Américains. « On a vu arriver les troupes d’assaut américaines. On s’est retrouvé entre les Américains et les Allemands toute la journée, les Allemands résistaient. » La journée a été particulièrement agitée. En fin de journée, un officier américain vient leur annoncer : « Le terrain est déblayé, vous êtes maintenant sous la protection de l’armée américaine ».
Jacques se souvient que les jours suivants, ils allaient porter des fleurs sur un cimetière provisoire créé par les Américains pour ensevelir les soldats tués, aussi bien allemands qu'américains, des souvenirs qui ont marqué le jeune de 14 ans qu’il était.
L’officier allemand, qui venait prier chez eux à Saint-Lô pendant l’occupation, et son père, s'étaient promis de faire quelque chose après la guerre pour la réconciliation franco-allemande. En 1947, ils reprennent contact. Ils décident de créer un centre de rencontre entre jeunes français et allemands dans le but de la réconciliation entre les deux pays. Le CORE, le Centre œcuménique de rencontres européennes a vu le jour en 1964 à Agon-Coutainville. « C’est exceptionnel, qu’un militaire allemand et un Français membre de la résistance établissent un lien amical. Et cela n’a été rendu possible que par la foi qui animait l’un et l’autre. »
Ils avaient 7, 14 ou 18 ans, quand sur les côtes du Calvados et de la Manche, les troupes alliées ont ouvert le chemin de la Liberté dans un déluge de feu et d'acier. Ces filles et ces garçons de Normandie témoignent, 80 ans après, de ce que fut leur enfance ou adolescence pendant la guerre. Un témoignage pour l'histoire.
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