Pour la première fois, un musée, celui de l’Orangerie à Paris, rend hommage à Sam Szafran, trois ans après sa mort. On dirait que notre époque veut corriger quelques injustices à l’égard d’artistes dont le tort principal était de rester à l’écart de la mode.
C’était un artiste figuratif à une époque où la critique ne jurait que par l’abstraction. Et Szafran aggravait son cas. Il n’utilisait pas la peinture, mais des techniques encore moins considérées : le fusain, l’aquarelle et surtout le pastel, dont il a été le plus grand virtuose français depuis Edgar Degas. Chose rare, Szafran utilisait le pastel pour des œuvres de grand format.
Les boîtes de bâtons de pastel étaient pour lui comme une sorte d’instrument à touches colorées. Il les achetait auprès de la Maison Roché, une très ancienne fabrique dont la gamme compte environ 1650 coloris.
Souvent, Szafran faisait figurer ses boîtes de pastel dans ses œuvres comme une sorte de mise en abyme. Ainsi dans une œuvre de 1972, où au pied d’une cage d’escalier très sombre, on aperçoit l’arc-en-ciel des bâtons de pastel, comme un appel vers la lumière.
Il a quelques thèmes de prédilection qu’il retravaille sans cesse dans un registre à la fois réaliste et onirique. Les figures humaines y tiennent une place plutôt discrète, même si on voit souvent sa femme Lilette, vêtue d’un caftan, assise sur un banc de l’architecte Antoni Gaudi.
Szafran dessine ses ateliers, envahis par le désordre dans lequel il aimait créer. Ou bien figure des escaliers avec d’étonnants effets de déformation. Il a représenté avec un soin infini des feuilles de philodendron, une plante verte qui, petit à petit, a envahi son atelier de Malakoff dans la banlieue parisienne et pour lesquelles il puisait dans les 375 nuances de vert de la maison Roché.
Sam Szafran a eu une vie difficile. Il a échappé de peu à la rafle du Vel d’Hiv. Son père est mort en déportation. Il a connu la drogue et la dépression. Mais cet autodidacte a tracé un très beau chemin artistique.
Il était soutenu par un grand galeriste, Claude Bernard, et par des collectionneurs passionnés. Il a eu au cours de sa vie de belles amitiés avec des artistes comme le sculpteur Alberto Giacometti, le photographe Henri Cartier-Bresson, l’écrivain Samuel Beckett ou encore le peintre Joan Miro. Une belle histoire concerne ce dernier. Il avait appris que Sam et Lilette Szafran passaient plusieurs heures par jour dans les transports pour conduire leur fils handicapé dans un établissement de soins. Miro leur a envoyé une grande lithographie avec ce mot : vendez-la pour acheter une voiture. Le monde de l’art connaît des enjeux d’argent et des rivalités, mais la générosité y a aussi sa place.
Chaque mardi à 8h45, Guillaume Goubert et Simon de Monicault présentent une exposition ou un événement qui raconte l'histoire de l'art.
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