Paul et Henri ont fait leurs études ensemble. Et pourtant, tout les éloigne. L’un a rêvé d’un grand destin littéraire, l’autre se contente de vivre au crochet du petit monde germanopratin. Faut-il entretenir l’ambition ou s’en tenir à un certain réalisme ? Mais que devient l’idéal de jeunesse ?
Pour Paul, seule compte la littérature. Mieux vaut ne rien écrire que de se contenter de peu. Et c’est non négociable : « Jamais le journalisme, Henri ! C’est une des règles de base quand on veut vraiment écrire. La presse te polluera l’esprit, elle te comprimera le cerveau, elle te corrompra le cœur et te salira jusqu’aux mains. »
Vous l’avez compris : en cette rentrée littéraire, Louis-Henri de la Rochefoucauld, par ailleurs journaliste littéraire, se moque gentiment de la presse et l’édition. Une pochade, une farce, une étude de mœurs entre Balzac et la brève de comptoir… « Dans les eaux froides de Saint-Germain-des-Prés, où tout n’était qu’entourloupes, artifices et double jeu, il fallait avoir les nerfs bien solides pour ne pas sombrer. »
Deux personnages dont le destin est quand même lié à la littérature…
Il sait écrire, Paul, mais quand il publie son grand œuvre Roman national, il doit faire face à une cruelle désillusion : les lecteurs et le succès ne sont pas au rendez-vous… Il n’abandonne pas l’écriture mais reste dans l’ombre, il devient la doublure, le porte-plume de Rossi, un auteur à succès qui se préoccupe davantage des chiffres (de vente) que des lettres. Et puis après tout, « Depuis quand un écrivain devrait écrire ses livres ? » interroge Henri, le narrateur espiègle qui visite l’appartement de Paul : « Une étagère entière était réservée à ses productions pour les autres. En démiurge au petit pied, il lui semblait fascinant de voir que tous les best-sellers de notre époque étaient signés par un seul homme : lui ! » Ah, oui, j’oubliais : le livre commençait avec la mort de Paul, histoire de distiller un peu de suspense dans l’histoire rocambolesque des deux amis ayant perdu leurs illusions : « Nous étions bien avancés, Paul et moi : il avait voulu devenir quelqu’un, c’est-à-dire quelqu’un d’autre, et la métamorphose n’avait pas marché ; pendant ce temps-là, je m’étais encroûté. » Mystère.
Fin connaisseur, l'auteur tourne son univers en dérision
Et vous connaissez cette béatitude apocryphe : « bienheureux celui qui a appris à rire de lui-même, il n’a pas fini de s’amuser. » Je vous le disais, on n’est pas sérieux quand on est écrivain, et le petit monde des lettres se reconnaîtra sans doute dans cette tragi-comédie. L’auteur caricature les écrivains, leurs livres, moque les cocktails et les dîners en ville, comme s’il regardait avec désolation cet univers de l’édition dont il connaît tous les rouages. Comme beaucoup, ses héros maudits rêvaient de grandeur, plaçaient la littérature tout en haut de leurs ambitions : « On aimerait que nos vies soient plus intenses et quand l’occasion se présente enfin, on peine à profiter de l‘instant. L’âme humaine s’est quelque peu attendrie depuis les gladiateurs. » On l’aura compris, ce roman est cruel, mordant et drôle. Une manière de rappeler avec le sourire que tout cela, ce n’est que littérature…
Les petits farceurs, de Louis-Henri de la Rochefoucauld, publié chez Robert Laffont.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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