Coup de cœur pour le récit de Cloé Korman qui a enquêté à propos de la disparition de ses petites-cousines à Auschwitz. Trois sœurs qui ont partagé le sort de trois autres, dont les destins se croisent.
C’est Esther, la sœur de la romancière, qui a rassemblé les premiers éléments de cette histoire. L’histoire d’une famille venue de Pologne, une histoire presque oubliée avec six fillettes au cœur de la Shoah. Trois d’entre elles en réchappent, se sauvent, se cachent. Trois autres sont déportées à Auschwitz.
Ce cinquième roman est sans doute le plus intime de Cloé Korman, pas seulement parce que les trois enfants mortes sont ses petites-cousines. Elle ne raconte pas leur destin, elle le partage, elle les suit dans leurs épreuves, dans ces mois de l’occupation durant lesquelles les fillettes marquées de l’étoile jaune tentent de garder un peu de la candeur enfantine. Et de fait, Mireille, Henriette et Jacqueline, de trois à dix ans, ont la naïveté de leur âge. Elles jouent, rêvent, écoutent les adultes, même quand ceux-ci affirment que "tout va bien se passer". Leurs parents ont été déportés dès 1942, mais elles ne sont pas vraiment seules : dans le centre de Montargis qui les hébergent, elles se lient d’amitié avec Andrée, Jeanne et Rose : pratiquement du même âge, les filles Kaminsky sont des presque sœurs, et elles seront ensemble pendant sept mois. Mais voilà : trois seront sauves, trois autres tuées par la folie nazie.
C’est bien le récit de destins tragiques que restitue Cloé Korman : elle mène l’enquête, compulse les archives, explore les lieux, arpente les rues de Paris, parce que c’est dans le décor le plus banal et d’apparence innocent que se sont déroulées ces histoires. Les parents juifs étant déportés, il fallait bien soigner, plus ou moins, leur progéniture notamment dans les foyers où les enfants, orphelins sans le savoir, se débrouillaient. Avant d’être envoyées à Paris, les six fillettes sont transférées au camp de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. "À quoi peut bien ressembler un lieu où vivent trois mille enfants sans parents, presque sans adultes, un camp en rase campagne où il n’y a presque pas d’installations sanitaires, presque pas de nourriture ? Le tumulte de la cour de récréation d’une école primaire dans une grande ville compte environ trois cents à quatre cents enfants. Ici, c’est dix fois plus. Pourtant, il n’y a pas un bruit."
"La dislocation des familles juives a obligé l’État français à organiser des services d’accueil des orphelins qui seraient tout autant des lieux de surveillance." On fait des listes, ça peut toujours servir, on surveille, en zone occupée, on ne sait pas quoi faire de ses enfants. Car chacun se rend bien compte que lorsqu’ils sont embarqués à bord des trains qui partent vers l’est, il est question de vie, ou de mort. À Paris, les foyers gérés par l’Union générale des israélites de France, sont nombreux, les enfants ballottés : "Tout au long de leurs différents séjours, les enfants partent et viennent selon les possibilités de regroupement des fratries, ou en fonction d’autres classements suivant les âges, des règles qui changent, des conditions variables."
Si le roman de Cloé Korman est bien documenté, elle fait surgir le banal d’une sortie dans Paris, d’un repas, de personnalités extraordinaires qui viennent soigner les enfants, les distraire en inventant des histoires. Les sœurs Kaminsky tentent de s’échapper : elles y parviendront à la septième tentative. Et elles ont raconté à l’écrivain ces années d’enfance, même si voir cette mémoire douloureuse reprise dans un roman les a chagrinées. Quant aux sœurs Korman, elles n’auront pas cette chance : en juillet 1944, elles font partie du convoi 77, le dernier qui part de Drancy, destination Auschwitz avec 322 autres enfants, aucun ne reviendra.
"Les presque sœurs", de Cloé Korman, 256 pages, 19 euros, éditions du Seuil
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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