Retour en pays natal, souvenirs douloureux et attachement indéfectible aux paysages : une une histoire à couper le souffle.
11 juin 1967, la vie de cette famille va basculer. Parce que cela ne peut plus durer. C’est pourtant une situation enviable que celle de cette jeune femme, propriétaire d’une belle propriété, épouse d’un mari qui exploite la ferme, un permis de conduire : « Trois enfants, trente-trois hectares, trente ans », écrit Marie-Hélène Lafon. Tout irait pour le mieux sur ce coin escarpé du Cantal si le mari n’était pas ce qu’il est : possessif, violent, insupportable. « Jamais elle n’est tout à fait tranquille, sauf le matin, entre le moment où il se lève pour aller traire à cinq heures, et celui où elle doit, elle, vers six heures et demi, sortir du lit pour attaquer la journée. » Ce pourrait être la répétition sans fin de cette vie réglée au rythme des saisons et des travaux des champs, mais on est aux portes des années Soixante-dix, tout change. Plus de confort, plus de matériel, plus d’argent… Et plus d’audace voire de révolte face à l’intolérable. Or, « sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée, vissée, il est le père des trois enfants, il les regarde à peine mais il est leur père, il est son mari, et il a des droits. »
On dirait un autre monde, à des années-lumière de notre époque…
La vie des paysans n’est plus ce qu’elle était dans ces années rudes. Mais ce livre n’est pas loin de notre époque, et si la brutalité ne s’exprime plus de la même manière, qui oserait dire que tout va bien pour le meilleur des mondes face aux maris violents ? Le propos de Marie-Hélène Lafon n’est pas vindicatif ni militant : dans une écriture serrée et une économie de mots, elle raconte une histoire terriblement banale dans ce pays qui est le sien. Elle met en scène ce couple mal assorti, dépeint une femme qui veut survivre : « Pour se calmer et tenir, il faut faire. Faire des choses. Elle a appris ça ; travailler, réciter des listes, penser à d’autres personnes, se raconter les histoires des gens… » Heureusement, il y a la famille, s’échapper un dimanche pour une visite, les enfants tirés à quatre épingles et le regard innocent des autres, à qui l’on n’ose pas révéler ce qui se joue, là-haut : « Il se sont mariés un 30 décembre et elle pense souvent qu’elle est entrée, en se mariant avec lui, dans une sorte d’hiver qui ne finira pas. »
Une fresque sans artifice, un roman qui nous entraîne dans un monde clos
Le paysage est aussi important que ceux qui l’habitent. Il y a la rudesse de ce Massif central, verdoyant et volcanique, froid et sublime : « Ils pourraient avoir une bonne vie dans cette ferme, si les choses n’étaient pas comme elles sont, les choses que les gens ne savent pas et ne doivent pas savoir. » Il s’en est passé des choses depuis ce dimanche de 1967, « un dimanche ordinaire dans la vie ordinaire et pas foutue des gens normaux qui n’ont pas peur tout le temps. » C’est une histoire ancienne que Claire, une des trois enfants se remémore en 2021, dans la dernière partie de ce triptyque, quand elle revient sur les traces familiales, et qu’elle se retrouve « cette cour rectangulaire perdue au fond d’une vallée minuscule où elle n’a passé que les cinq premières années de sa vie. » Le temps passe, les blessures peuvent cicatriser, mais rien ne s’oublie. Les paysages immuables sont là pour rappeler ce qui a été vécu et enduré.
Les sources de Marie-Hélène Lafon, est publié chez Buchet-Chastel.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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