Il y a 60 ans, rien ne prédestinait Les Tontons flingueurs à devenir l’objet culte qu’il est devenu. Au fil de ses multiples rediffusions, ce film de truands parodique est entré au panthéon de la culture populaire française.
A chaque fois qu’il passe à la télévision, il bat des records d’audience et séduit un public toujours plus large, toujours plus jeune qui n’était pas né en 1963. Les Tontons flingueurs est devenu, malgré lui, une ode aux Trente Glorieuses, à une époque faste où le cinéma français avait pour acteurs Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche, Jean Lefebvre, Claude Rich ou encore Robert Dalban et pour dialoguiste un certain Michel Audiard.
Fernand Naudin (alias Lino Ventura) est un ex-truand rangé des voitures depuis près de quinze ans à Montauban où il prospère dans le négoce de matériel agricole et de terrassement. Le film s'ouvre sur son départ en pleine nuit pour Paris où le demande expressément Louis, dit le Mexicain, joué par Jacques Dumesnil. une vieille connaissance, alitée et mal en point. Dès lors, les surprises vont s’enchaîner. Car le Mexicain a fait venir Fernand pour une mission bien particulière. Il souhait en effet lui confier la garde de sa fille Patricia, ainsi que la tête de ses « affaires qui tournent toutes seules », selon ses propres dires. Dans le lot, il y a un bowling, une roulette clandestine, une salle de jeux gérée par les frères Paul et Raoul Volfoni, une distillerie dirigée par un Allemand, Théo, et une maison close supervisée par une certaine Madame Mado. Mais cette décision mécontente fortement les différents « gérants » des affaires du Mexicain, qui s'attendaient à obtenir leur indépendance après la mort de leur patron.
On ne devrait jamais quitter Montauban
Dans Les Tontons flingueurs, la musique tient une place prépondérante. Elle est tout sauf une simple ponctuation, elle incarne, au contraire, un personnage à part entière et devient un fil rouge qui vient renforcer l’effet comique du film. Sans la musique de Michel Magne, Les Tontons flingueurs n’auraient jamais été Les Tontons flingueurs. Car Magne, grand compositeur injustement oublié des années 60 et 70, était un génie. Outre sa grande contribution pour le cinéma français, on retient la série des Fantomas et des Angélique marquise des anges, Mélodie en sous-sol ou encore Un Singe en hiver, il fut aussi l’instigateur du projet fou du château d’Hérouville dans le Val d’Oise, haut lieu de la création musicale durant 20 ans qui vit défiler Bowie, Elton John, Nougaro, Higelin, ou encore les Pink Floyd. Dans le film, le thème musical principal est ainsi décliné sous diverses variations stylistiques. On le retrouve notamment joué en gloria lors du mariage de Patricia, en blues au bowling, et au banjo pour les scènes de « bourre-pif » dans lesquelles Bernard Blier se prend des coups de poing inattendus de la part de Fernand Naudin. A chaque fois, l’effet de comique de répétition fonctionne à plein.
Pour bien comprendre Les Tontons flingueurs, il est important de remonter aux origines et à un homme : l’écrivain et scénariste Albert Simonin. Celui par qui l’histoire est arrivée. Nous sommes en 1955 quand sort en librairies le roman Grisbi or not grisbi, dernier volet d’une trilogie consacrée au truand Max le Menteur, précédé par Touchez pas au grisbi ! et Le Cave se rebiffe un an auparavant. Autant d’histoires qui seront portées à l’écran. Toutefois, les adaptations pour le cinéma ne reflètent nullement le caractère de continuité des romans. Mieux même, Le Cave se rebiffe et Les Tontons flingueurs vont perdre au passage leur ton sombre et sanglant au profit d'une veine comique, admirablement mis en musique par les dialogues de Michel Audiard. Mais la trame est là et l’association Simonin-Audiard, va faire mouche.
Neuf ans avant Les Tontons flingueurs, Jacques Becker, avec Touchez pas au grisbi !, aura été le premier à adapter à l’écran l’œuvre d’Albert Simonin. Déjà avec Lino Ventura dans son premier grand rôle aux côtés de Jeanne Moreau et Jean Gabin qui, grâce au film, va relancer sa carrière après une décennie précédente difficile. Touchez pas au grisbi ! a lancé le début d'un cinéma policier "à la française", et ainsi mis fin au monopole des films noirs américains tandis que le thème musical, très atmosphérique de Jean Wiener, interprété à l’harmonica par Jean Wetzel, allait remporter un immense succès. Main theme, BO Touchez pas au grisbi, Jean Wiener (1954)
Allons vite messieurs, quelqu'un pourrait venir, on pourrait se méprendre, et on jaserait. Nous venons déjà de frôler l'incident
Lino Ventura a 44 ans lorsqu’il endosse le costume de Fernand Naudin. Révélé dans Touchez pas au grisbi ! en 1954, il a déjà tourné une trentaine de films dont quelques-uns notables comme Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle en 58, Classe tous risques, de Sautet, en 1960 ou encore Un Taxi pour Tobrouk, de Denys de La Patellière en 1961. Et quand Georges Lautner fait appel à ses services, il n’est pas très convaincu au début.
Le premier jour de tournage des Tontons flingueurs a lieu le 8 avril 1963. À la tête d'un budget de 1,8 million de francs, Georges Lautner est loin d'avoir les moyens d'une superproduction. Pourtant pour lui, l’habitué à des budgets serrés, c’est une sacrée somme. " J'étais connu comme le roi de la démerde sur les plateaux", confie-t-il dans ses mémoires. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Les Tontons flingueurs a été tourné sous l'influence... d'Orson Welles. "J'aimais bien son utilisation des focales et sa façon de mettre un personnage au premier plan et un autre un peu plus derrière, mais aussi nets à l'image l'un que l'autre », avoue Lautner qui a beau revendiquer un film de copains tourné dans la bonne humeur, il n'en reste pas moins un excellent technicien et le roi des monteurs du cinéma français de cette époque.
Parmi la bande de copains de Georges Lautner, il y a Bernard Blier, inoubliable Raoul Volfoni avec lequel il tourne, dès 1960, Marche ou crève, marquant ainsi une première collaboration entre les deux hommes. Il y en aura beaucoup essentiellement dans les années 60. Bernard Blier, c’est le second rôle star par excellence du cinéma français des années 40 à 80, déjà très en vue dès la fin des années 30 chez Marcel Carné dans Hôtel du Nord et Le Jour se lève. Dans les années 1960, certains de ses films deviendront des classiques. Sa collaboration avec Georges Lautner, mais aussi Henri Verneuil, a fait date tandis que Michel Audiard lui écrit des textes « cousus main ». Il donne la réplique aux plus grands : Jean Gabin, Jean-Paul Belmondo, Lino Ventura, Louis de Funès… dans des tournages qui se passent dans la bonne humeur et l'amitié. Ses rôles de gangsters maladroits feront également sa notoriété. Des Tontons flingueurs au Cave se rebiffe en passant par Quand passent les faisans et Du mou dans la gâchette.
Moi les dingues, j'les soigne, j'm'en vais lui faire une ordonnance, et une sévère
Il y a une histoire derrière le choix du casting. En effet, pour répartir les risques financiers, la Gaumont opte pour une coproduction franco-italo-allemande. D'où la présence de Sabine Sinjen dans le rôle de Patricia, la fille du Mexicain, de Horst Frank (qui joue Théo, le responsable de la distillerie), côté allemand, ou encore de Venantino Venantini, dans la peau de Pascal, l'un des deux porte-flingues du film, assurant la représentation italienne. Quant au casting français, il est de premier choix et fait appel à une kyrielle de brillants seconds rôles au premier rang desquels Jean Lefebvre, Claude Rich, Robert Dalban, Dominique Davray ou encore Mac Ronay.
C’est la scène peut-êre la plus culte des Tontons flingueurs. Celle la plus connue, la plus désopilante parce qu’elle est, à elle-seule, un concentré du génie propre à Michel Audiard. Et dire pourtant que la scène de la beuverie dans la cuisine faillit ne pas être retenue mais Lautner tient beaucoup à cette séquence et va filmer des plans réglés au millimètre et où les dialogues sont respectés à la virgule près. Pour amortir les frais sur plusieurs tournages, Gaumont achète en banlieue parisienne, à Rueil-Malmaison, un petit pavillon dont la cuisine faisait à peine quatre mètres sur trois. Grâce à une réalisation au cordeau et des répliques gratinées, allant de Lulu la Nantaise, au vitriol au goût de pomme, la scène va devenir culte.
J’ai connu une Polonaise qu’en prenait au petit-déjeuner... Faut quand même admettre qu’c’est plutôt une boisson d’homme
Un univers et aussi un personnage viennent à l’esprit de par leur désinvolture affichée, leur second degré assumé et un véritable esprit parodique. Et cet univers, c’est celui de la série des OSS 117 de Michel Hazanavicius incarné par l’acteur Jean Dujardin impayable dans le rôle d’un agent du contre-espionnage français sous la fin de la IV République et de la Ve République du général De Gaulle, rempli de préjugés et de certitudes. L’acteur a incarné trois fois Hubert Bonisseur de La Bath : en 2006, dans OSS 117 : Rio ne répond plus. En 2009, dans OSS 117 : Le Caire nid d’espions et enfin en 2021, dans OSS 117 : alerte rouge en Afrique noire.
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