Blum. René Blum, et non pas Léon. Léon Blum, ça nous dit quelque chose, grande figure du socialisme français, président du conseil avant-guerre, les congés payés, le Front populaire de 1936… On comprend que la popularité de l’homme politique ait éclipsé le frère. Il fallait ce roman d’Aurélien Cressely pour rendre justice à René Blum, un premier roman sensible, dense, écrit au cordeau.
René Blum, né en 1878, est l’artiste de la famille : « Il avait grandi dans la France des idées de la fraternité des peuples, insiste l’écrivain. Le cadet des Blum passait le plus clair de son temps dans les salles de spectacle. » Mêlé au tout-Paris intellectuel, ami de Proust et Matisse, « il était le genre d’homme à courir après le temps. Il était partout et nulle part à la fois. » Une formidable énergie mise au service de l’art, du théâtre. René Blum, qui fut notamment directeur des Ballets russes de Monte Carlo, se taille une réputation bien au-delà des cercles parisiens : « René avait consacré sa vie à illuminer les soirées des autres », nous dit le romancier : « René ne voulait pas marquer de son nom l’histoire. Il voulait simplement transmettre au public une certaine idée de la beauté. » Mais quelle insouciance, alors que l’ogre nazi s’apprête à dévorer l’Europe…
Le livre d’Aurélien Cressely est construit sur cette opposition, alternant les chapitres d’une vie foisonnante au service de l’art et la vie des camps de concentration. Le 12 décembre 1941, René Blum est arrêté, victime de ce qu’on a appelé la « rafle des notables ». « Il avait voulu rester auprès de sa famille, de son fils, de ses frères. Et puis il ne voulait pas que le nom de Blum puisse être associé à la fuite. » Compiègne, Drancy, Pithiviers, Auschwitz… Les juifs arrêtés ignoraient leur destination : « Il y avait l’incertitude de savoir où l’on allait les mener, dans quel nouvel enfer. Il y avait aussi la peur. » Dans les camps, Blum organise des « soirées à thèmes » : « Des discussions étaient proposées aux internés. Parmi eux se trouvaient certains des plus grands spécialistes de leur domaine, en science, littérature ou théâtre. » Il ne fait pas valoir son nom, n’espère aucun traitement de faveur. Ce serait même l’inverse. Il meurt en septembre 1942, il a tout juste 64 ans.
« J’ai peur, lui fait dire l’auteur. Mais je préfère la peur à la fuite. C’est mon honneur et celui de ma famille. » Les Blum, une vieille famille juive alsacienne, meurtrie par l’antisémitisme, victime de la folie des hommes. La triste actualité de ces derniers jours nous montre que, malheureusement, certains ont oublié les leçons de l’histoire. Etre juif : « Pour René, il s’agissait d’un héritage dont il avait toujours été fier, celui d’une sensibilité particulière et d’une mémoire millénaire. »
Cette biographie romancée de René Blum parle de cet homme solaire, mais pas seulement, nous dit l’auteur : « Comme des millions d’autres femmes et hommes, la vie de René allait être enfouie dans les ténèbres de l’histoire, perdue à jamais dans le drame de ce monde. » La littérature assure cet immense service de mémoire, par-delà l’oubli.
Par-delà l’oubli, d’Aurélien Cressely, est publié chez Gallimard.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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