Porte-parole du mouvement En Ecocide on Earth, Valérie Cabanes lutte pour que soit reconnu un cinquième crime international, le crime d’écocide. Aujourd'hui, la Cour pénale internationale reconnaît le crime contre l'humanité ou le génocide. Mais pas le crime contre l'environnement. Selon la juriste, "il est important qu'un nouveau crime soit créé pour aller au-delà : sortir d'une vision anthropocentrée du droit". Elle publie "Homo natura" (éd. Buchet/Chastel), où elle invite à changer de regard sur la nature, et à considérer les espaces naturels "pour leur valeur intrinsèque au-delà des bienfaits rendus à l'humanité".
Juger pour écocide passe notamment par la nécessite de conférer une personnalité juridique aux écosystèmes. Depuis une dizaine d'années on voit émerger les effets d'une prise de conscience. En tête l'Équateur, qui a reconnu dès 2008 les droits de la nature dans sa constitution, suivi par la Bolivie en 2009 ou le Mexique en 2017. Aux États-Unis, des municipalités ont pu stopper des projets de fracturation hydraulique en adoptant les droits de la nature dans leur législation locale. Et, dernier cas en date qui intéresse particulièrement la juriste, celui du fleuve Colorado - surexploité, extrêmement pollué - dont la voix est défendue devant le juge fédéral par une équipe d'avocats de l'ONG Deep Green Resistance (DGR).
Pour Valérie Cabanes, l'histoire récente a montré que les sanctions financières ne sont pas efficaces pour protéger la biodiversité et lutter contre le réchauffement climatique. Son action met en lumière un autre moyen de pression, le combat juridique. En 2016, elle faisait partie du comité d’organisation du Tribunal Monsanto, un procès fictif organisé à La Haye où la firme était jugée pour écocide.
"Ça fait maintenant depuis 1972 qu'on sait que l'on porte atteinte aux limites de la planète." Le terme "écocide" (du grec oïkos qui signifie "maison" et du latin caedere, "tuer") existe depuis le début des années 1970. Il a été formulé par le le biologiste et activiste américain Arthur W. Galston (1920-2008) et repris par Olof Palme (1927-1986), au moment de la Conférence des Nations unies sur l'environnement humain (CNUEH) en 1972 à Stockholm, aussi désignée comme le premier Sommet de la terre. Le premier ministre suédois qui considérait comme écocide la dispersion par l'armée américaine de l'agent orange et de la dioxine contenue dans ce gaz sur les forêts du Cambodge, du Laos et du Viet Nam.
Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) nous alerte sur le climat depuis 1988. Et que "tout le monde est au courant depuis 1988", et que "les dirigeants des 100 entreprises qui émettent 71% des gaz à effet de serre sur terre agissent donc en connaissance des conséquences probables de leurs décisions". Pour Valérie Cabanes il y a là un "principe de finitude qu'on est en train de refuser".
"Le monde sera totalement nouveau d'ici 2100." On a déjà perdu presque 60% des vertébrés, 80% des insectes. Et avec trois ou quatre degrés de plus, on va revenir à un climat que la terre a connu, et où le niveau des mers était plus haut d'environ 10 mètres. De quoi reconfigurer la géographie terrestre. "En 2100 deux personnes sur sept devront quitter leur domicile, qui sera soit inondé soit asséché."
On pense que la terre est un puits de ressources inépuisable. On pense que la planète et la nature s'adapteront à ces extinctions. Or l'histoire montre que si la nature s'est adaptée, cela s'est fait sur le temps très long. "Il faudra des millions d'années pour que notre biodiversité telle que nous la connaissons se reconstitue." Pour Valérie Cabanes, "ce facteur temps est essentiel à comprendre". Aujourd'hui, ce sont "les droits fondamentaux des humains qui commencent à être véritablement menacés". Et "si on ne réfléchit pas à protéger le droit de la nature à exister", c'est "le droit à l'eau, le droit à l'alimentation, le droit à la santé, le droit à l'habitat" qui "ne pourront plus être garantis aux générations futures".
Émission enregistrée en novembre 2017
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