Grand patron atypique, "moine-soldat", ascète philosophe... Quand il était à la tête du groupe Danone, l'un des fleurons des entreprises françaises du Cac 40, Emmanuel Faber s'est fait remarquer par sa vision du capitalisme responsable. On se souvient de son célèbre discours devant les diplômés d'HEC, qu'il mettait en garde contre les excès de l'argent, de la gloire et du pouvoir. Un détachement et une vision du monde qu'il doit... à la montagne. Pour ce féru d'alpinisme et d'escalade, c'est le lieu d'un éblouissement et d'une expérience divine.
Qui est capable de refuser 20 millions d’euros ? Dans les médias, on l’appelle "le moine-soldat", on le décrit comme un ascète philosophe. Un original capable de refuser le montant colossal de sa retraite-chapeau. C’est peu de dire que son rapport à l’argent étonne : quand il était à la tête de Danone, Emmanuel Faber s’est battu pour ne pas être augmenté.
Ce que lui n’arrive pas à comprendre, en revanche, c’est "comment on peut lire les journaux, regarder la télévision, voyager un minimum, sortir dans la rue et se dire que ce genre d’avantages acquis pour l’élite d’un cercle qui fait système" peut "paraître pertinent, légitime"... L'ancien patron de Danone ne condamne pas l’économie de marché ni l’argent, mais l’excès. L’excès d’argent, de pouvoir aussi, qu’il qualifie de "poison" et qui empêche "la mise en œuvre du changement". "Comme il est addictif, toute forme de pouvoir tend au statu quo." Emmanuel Faber dirige aujourd'hui l'ISSB (International Sustainability Standards Board), un organisme qui informe les investisseurs sur les risques environnementaux liés aux entreprises et qui encourage l'investissement socialement responsable (ISR).
"Quand vous partez en montagne, le matin, avant de partir, vous prenez ce qu’il faut, c’est dangereux de prendre trop. C’est exactement la même question qui se pose et pour le pouvoir et l’argent !" La montagne, c’est elle qui a façonné son "identité". Depuis l’enfance, c’est le lieu d’un "éblouissement". "Un mélange d’admiration et de crainte – l’effroi, c’est ce que nous ressentons en face de quelque chose qui est d’une toute autre dimension." Pour lui, la montagne est une expérience spirituelle, elle vous "met en contact avec le divin". Et c'est aussi le lieu d’un questionnement métaphysique. C'est tout cela qu'il raconte dans son dernier livre, "Ouvrir une voie" (éd. Guérin).
"Qu’est-ce qu’une conscience dans le cosmos ? Qu’est-ce qu’une liberté à l’échelle invisible d’une simple vie ? Absurdité de cette condition humaine si brève, si contingente ! Qui a choisi de naître ? Alors oui, mon choix de tout jeune adulte, ma dignité d’homme, ce sera de défier cet absurde et de choisir en conscience pour vivre et mourir livre. Choix de me conformer librement, à ce que je crois, ce que je sens juste, sans compromission. De l’absolu, toujours, des compromis, très souvent, des compromissions, jamais."
Emmanuel Faber, "Ouvrir une voie" (éd. Guérin)
L'argent, le pouvoir, la gloire : "C'est très compliqué de résister à tout ça", admet Emmanuel Faber. Il confie avoir lui-même été témoin des "dégâts que causent ces questions-là dans les relations humaines et dans même l’intégrité des personnes, quand elles sont incapables de résister aux pulsions régressives que réveille l’excès d’argent, de pouvoir, de notoriété..." Pourtant, alors que les inégalités se creusent, la question est plus que jamais d'actualité.
Quand il était étudiant à HEC (École des hautes études commerciales), on lui a donné les moyens de devenir puissant et riche, sans le mettre en garde. Dans un discours resté célèbre en 2016 - vu plusieurs milliers de fois sur internet - il a voulu avertir les jeunes diplômés. "Quand j’étais à HEC, je me suis vite aperçu qu’on nous avait donné des outils extrêmement puissants sans nous expliquer à quoi ils devaient servir."
Pas plus qu’un autre, Emmanuel Faber ne se sent à l’abri des tentations du pouvoir, de l’argent et de la gloire. Son "antidote", comme il l’appelle, c’est Dominique. Son frère atteint de schizophrénie, aujourd'hui disparu. "Il n’y a pas une journée où je ne pense pas à lui", confie-t-il dans son livre. "Il m’a apporté le témoignage vivant et permanent d’une forme d’altérité, une altérité assez particulière parce que par ailleurs la maladie psychiatrique est taboue, elle fait peur." Emmanuel Faber considère comme "un privilège" d’avoir trouvé auprès de son frère "des espaces de liberté, de rencontre, où se goûtent d’autres formes de langage, de pensée, de vie... ça casse beaucoup de modèles, d’a priori, ça permet de penser librement..."
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