Alors que de nombreux ouvrages attendus sortent en cette rentrée littéraire hivernale, Marque Page se penche sur des romans sortis en septembre dernier, romans émouvants et enthousiasmants tant par la richesse de leur écriture que par l’histoire singulière qu’ils racontent.
Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Maria Larrea chez Grasset
L’histoire commence en Espagne, par deux naissances et deux abandons. En juin 1943, une prostituée obèse de Bilbao donne vie à un garçon qu’elle confie aux jésuites. Un peu plus tard, en Galice, une femme accouche d’une fille et la laisse aux sœurs d’un couvent. Elle revient la chercher dix ans après. L’enfant est belle comme le diable, jamais elle ne l’aimera.
Le garçon, c’est Julian. La fille, Victoria. Ce sont le père et la mère de Maria, notre narratrice.
Dans la première partie du roman, celle-ci déroule en parallèle l’enfance de ses parents et la sienne. Dans un montage serré champ contre champ, elle fait défiler les scènes et les années : Victoria et ses dix frères et sœurs, l’équipe de foot du malheur ; Julian fuyant l’orphelinat pour s’embarquer en mer. Puis leur rencontre, leur amour et leur départ vers la France. La galicienne y sera femme de ménage, le fils de pute, gardien du théâtre de la Michodière. Maria grandit là, parmi les acteurs, les décors, les armes à feu de son père, basque et révolutionnaire, buveur souvent violent, les silences de sa mère et les moqueries de ses amies. Mais la fille d’immigrés coude son destin. Elle devient réalisatrice, tombe amoureuse, fonde un foyer, s’extirpe de ses origines. Jusqu’à ce que le sort l’y ramène brutalement. A vingt-sept ans, une tarologue prétend qu’elle ne serait pas la fille de ses parents. Pour trouver la vérité, il lui faudra retourner à Bilbao, la ville où elle est née. C’est la seconde partie du livre, où se révèle le versant secret de la vie des protagonistes au fil de l’enquête de la narratrice.
Dans une écriture à la fois fluide mais tendue, Maria Larrea nous raconte donc une histoire, son histoire, qui se déroule sous nos yeux écarquillés tel un film où l’on attendrait la prochaine séquence. Cela doit sans doute au métier premier de la romancière, qui, après être passée par la prestigieuse école de la FEMIS devient réalisatrice et scénariste pour le cinéma. Maria Larrea a l’art de nous tenir en haleine tout au long de son récit, et nous sommes bien loin de nous douter en début de lecture où celui-ci nous mènera. Au fil des chapitres qui alternent entre la Galice et Bilbao, sa terre d’origine et Paris où elle grandit et vit, Maria Larrea revient sur une enquête aussi étonnante qu’émouvante puisqu’elle est celle, réelle, de ses origines. Une quête d’identité qui se heurtera à de nombreux silences - ceux de ses parents Victoria et Julian - mais aussi à de réels tabous - l’adoption illégale dans une espagne tout juste sortie du régime franquiste. Mais son entourage ainsi que de nombreux témoignages similaires au sien l’aideront à, peu à peu, faire la lumière sur sa naissance, brisant un poids devenu trop lourd, dévoilant un secret qu’elle ne sera plus alors la seule à porter.
Débarquer d'Hugo Boris chez Grasset
Andrew, vétéran américain du 6 juin 1944, trouve la force de revenir en Normandie à la fin de ses jours pour revoir la terre qui l’a si profondément marqué. Une guide des plages du débarquement doit l’accueillir, Magali, âgée d’une trentaine d’années.
Dans sa profession, accompagner un vétéran d’Omaha Beach, c’est le Saint-Graal. Mais ce matin, lorsqu’on lui annonce l’arrivée d’Andrew, Magali se sent dépassée. Il y a neuf mois, son mari a disparu et depuis l’enquête piétine, personne ne sait s’il est mort ou vivant. Seule avec ses deux enfants, elle est morte d’inquiétude. La visite de ce vieil Américain, alors qu’elle musèle sa douleur avec des médicaments depuis des semaines, c’est trop.
Les vétérans se déplacent toujours en famille, souvent accompagnés d’une association, toujours accueillis comme des demi-dieux, presque des stars du rock. Pourtant à la gare de Bayeux, Andrew est seul. Magali n’en revient pas. Ce vieillard qui peine à marcher a fait le voyage depuis le Connecticut sans l’aide de personne. Qui est-il ? Que cache cette détermination solitaire ?
C'est cette étrange rencontre avec Andrew, vieil homme hagard, semblant muré dans le passé et le silence qui va soudainement atténuer sa solitude et, doucement, apaiser sa douleur et son incompréhension face au départ brutal et inexpliqué de son mari. Deux vies brisées se font face et se reflètent sur les plages du débarquement, chacune tentant tant bien que mal d’apprivoiser l’autre malgré tout. Hugo Boris, primé pour son précédent roman POLICE signe ici un livre touchant et singulier, où se lit à la fois l’absence, la souffrance, le silence et les regrets mais laisse entrevoir la lumière et l’horizon quand, après les tempêtes et les rafales, vient le doux murmure des vagues à marée basse.
L'île haute de Valentine Goby chez Actes Sud
Un jour d’hiver, le jeune Vadim, petit Parisien de douze ans, gamin des Batignolles, inquiet et asthmatique, est conduit par le train vers un air plus pur. Il ignore tout des gens qui vont l’héberger, quelque part dans un repli des hautes montagnes. Il est transi de fatigue quand, au sortir du wagon, puis d’un tunnel – l’avalanche a bloqué la voie –, il foule la neige épaisse et pesante, met ses pas dans ceux d’un inconnu. Avance vers un endroit dont il ne sait rien. Ouvre bientôt les yeux sur un décor qui le sidère, archipel de sommets entre brume et nuages, hameau blotti sur un replat. Immensité enivrante qui le rend minuscule. Là, tout va commencer, il faudra apprendre : surmonter la séparation, passer de la stupeur à l’apprivoisement, de l’éblouissement à la connaissance. Confier sa vie à d’autres, à ceux qui l’accueillent et qui savent ce qui doit advenir.
L’île haute est le récit initiatique d’une absolue première fois, d’une découverte impensable : somptueux roman-paysage qui emplit le regard jusqu’à l’irradier d’humilité et d’humanité. Images et perceptions qui nous traversent comme autant d’émotions, nous élèvent vers ces ailleurs bouleversants, ces montagnes dont la démesure change et libère les hommes – et sauve un enfant.
Vadim a 12 ans lorsqu’il quitte Paris pour devenir Vincent, au creux du col de Vallorcine, un bout de montagne quasi inaccessible en hiver. Là, il rencontre celles et ceux qui vont devenir sa nouvelle famille durant ce temps indéterminé, celui de la guerre et de l’occupation allemande. Il y a d’abord Albert et Blanche chez qui il va vivre désormais mais surtout Moinette, qui va lui faire découvrir son nouvel environnement, faisant de lui son élève, son ami, son frère, l’initiant à l’immensité du paysage et aux tâches quotidiennes de la vallée et de ses habitants. Lui, parisien et asthmatique depuis sa naissance, n’a jamais vu de neige de ruisseaux ou de jonquilles, et ne trouve aucun mot pour décrire ce qui s’étend devant ses yeux ébahis, son coeur abasourdi par tant de nouveautés. Exilé mais choyé par ceux qui l’accueillent, chaque jour est pour lui une découverte source autant d’appréhension que d’émerveillement. Et chaque jour il apprend : à l’école du village où l’on accueille le parisien d’abord avec suspicion puis respect mais aussi dans les champs, dans l’étable, sur les pentes escarpées et les prés endormis. Les saisons passent et ne se ressemblent pas ; chaque lieu et paysage le sidère autant qu’ils l'éblouissent, et, peu à peu, Vincent oublie qu’il a été Vadim, que la guerre continue au pied du col et qu’un jour peut-être il faudra de nouveau fuir. La poésie et la force des mots de Valentine Goby retranscrivent à merveille l'île haute, cette majestueuse montagne qui sera pour Vincent le lieu de tous les apprentissages. Un magnifique roman d’initiation mais aussi et surtout une superbe ôde à la liberté surgissant de ces cols et à la fraternité de ses habitants qui transforme à jamais la vie du jeune homme.
Programmation musicale :
La grande marée, Miossec (L'étreinte, 2006)
Jeanne et Alexis vous donnent rendez-vous pour leurs coups de cœur du moment : romans noirs, littérature jeunesse, bandes dessinées...
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