C’est la saison des prix, et pour pas cher, on va s’intéresser, durant les prochaines semaines aux lauréats des prix d’automne, ce moment littéraire intense qui, du côté de Saint-Germain, suscite des émotions et met des écrivains heureux sous le feu des projecteurs, ce qui n’est pas si fréquent.
Bien sûr, il y a déjà quelques prix qui ont été décernés, et non des moindres, comme le prix du premier roman attribué à Maud Ventura pour "Mon mari" paru à L’Iconoclaste, ou encore le prix du manuscrit envoyé par la poste décerné à Julie Ruocco pour "Furies", chez Actes sud, Julie Rucco que vous aviez reçu dans la matinale, ici même… Des prix en veux-tu en voilà, remis par les libraires, les médias, par les salons du livre un peu partout en France, mais… Toutes ces distinctions ne valent pas les classiques, les grands prix, les prix d’automne, tels que le Médicis, attribué cette semaine à Christine Angot pour "Voyage dans l’Est", chez Flammarion et, j’y viens enfin le prix Femina remis il y a quelques jours à Clara Dupont-Monod…
Durant tout le roman, on l’appelle l’enfant, parce que ce nouveau-né ne grandira jamais vraiment, si ce n’est en taille. Son cerveau ne commande rien, il ne voit pas, ne parle pas, ne bouge pas, il entend juste… "Il ne gigotait pas, il restait calme – inerte – pensaient ses parents sans le dire."
Les mots sont rudes : handicapé, inadapté, l’enfant vient bousculer le fragile équilibre de cette petite famille installée dans les Cévennes, sur les terres ancestrales qui disent d’où ils sont. Mais avec l’enfant, ils sont déboussolés, et ne savent pas où ils vont… Le frère aîné a trouvé la clé pour approcher l’enfant, il lui fait écouter la nature : "la maison résonna des bruits des cascades, des cloches des moutons, des bêlements, d’aboiements de chiens, de cris d’oiseaux, de tonnerre et de cigales."
Quand il faut envoyer l’enfant dans un établissement spécialisé, l’aîné s’effondre à son tour : "Au creux de lui s’installa la tristesse". Il s’enferme devient un autre : "En lui quelque chose est devenu pierre, ce qui ne signifie pas insensible mais plutôt endurant, immobile, implacablement identique au gré des jours." Quant à la sœur cadette, elle n’a d’autre ressource que la révolte face au bonheur perdu : "Je m’oppose sans cesse. Je me cogne et crie la révolte contre le destin, je serai perdante, mais je m’obstine à rejeter. Je suis un refus à moi seule."
La force du roman de Clara Dupont-Monod, c’est le choix littéraire de faire parler les pierres : ce lieu qui a vu se succéder les générations est le cadre du drame qui se joue. Dans l’épreuve et le malheur, on est réduit au silence. Mais l’auteur reprend en exergue l’évangile de Luc : "S’ils se taisent, les pierres crieront". Pour garder la trace de ce combat. Le roman montre cette capacité et ce défi d’accueillir la différence, sans en faire un témoignage larmoyant mais bien une fresque intime, l’écho des batailles intérieures, des sacrifices, des espoirs et des consolations. Petit à petit, l’enfant s’efface, et chacun doit survivre : "Le sort aime défaire les rôles, il fallait s’adapter". Les pierres peuvent raconter, les livres aussi : celui de Clara Dupont-Monod est puissant, solide comme un roc, et pourtant fait de tendresse et d’attachement. Une belle page d’humanité.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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