Minh Tran Huy est romancière, critique littéraire, elle est aussi maman. Il y a deux ans, elle racontait ce qu’était la vie avec un enfant autiste sévère dans un essai bouleversant. Ce livre, Un enfant sans histoire, elle était venue présenter lors de mon émission Au Pied de la lettre. Aujourd’hui, c’est à Serge, le petit frère de Paul qu’elle s’adresse, parce que, dans une fratrie, l’enfant handicapé risque de prendre toute la place, et que le petit dernier a droit, lui aussi, à toute l’attention maternelle, même s’il ne fait pas d’histoire.
C'est l’émerveillement devant cet enfant comme les autres qui console des parents parfois épuisés : « le monde est vaste et tu n’as de cesse de l’élargir. Le monde est à découvrir, explorer, déchiffrer, le monde t’appartient, quand le bruit, la foule, une routine manquée, l’irruption d’un événement imprévu, d’une lumière malvenue, un parfum trop lourd, un morceau de courgette dans ses pâtes peuvent suffire à plonger Paul dans la détresse », écrit cette mère tout entière attentive à ses deux fils. C’est la force de ce récit, tout à la fois humble et vrai, pudique et bouleversant.
Les parents d’enfants handicapés se reconnaitront dans les mots de Minh Tran Huy : « Sans doute est-ce le plus dur à vivre : le sentiment de son impuissance face à son enfant qui souffre. Se dire qu’on n’y peut rien, qu’on n’y pourra jamais rien, quand il se débat sous vos yeux. » Puisqu’elle écrit des livres, c’est par la littérature qu’elle nous entraîne dans son histoire familiale. Elle raconte ses fils, Paul et Serge, mais aussi récite le conte de la mer salée ou évoque le drame des membres de la famille qui n’ont pas eu le temps de fuir la terre natale et sont morts au Vietnam : « Ils n’étaient pas communistes en ces temps où il valait mieux l’être, confie-t-elle avec retenue. J’écris sur les meurtres de tes aïeuls, sur tout ce que tes grands-parents n’ont pas su, pu ou voulu dire, sur les trous de la mémoire familiale où se nichent des tragédies qui n’ont plus de nom. »
Ce livre est publié dans la collection « Les Affranchis » qui propose aux auteurs de rédiger la lettre qu’ils n’ont jamais écrite. Annie Ernaux, Yves Simon, Anne Gosciny, Nancy Huston se sont pris au jeu. Minh Tran Huy s’inscrit dans cette idée d’une correspondance très personnelle qui touche à l’universel. Elle livre les secrets de famille, parle de la douleur et du défi d’être parents, s’adresse à Serge son fils, mais à tous ceux qui prêtent une oreille aux autres qu’eux-mêmes. La blessure est profonde, elle ne passera pas, explique l’auteur à son fils : « Ton historien de père a dit à ta romancière de mère, sur un ton triste et doux : <Paul ne comprendra jamais ce que nous faisons. Nos recherches, nos livres, ce qui compte le plus pour nous, ce à quoi nous consacrons tout notre temps, toute notre énergie, lui resteront inaccessibles>. » Peut-être, et le temps n’y fera rien malheureusement. Reste la puissance de l’écriture, qui témoigne de l’épreuve et de la résistance qui s’organise : « J’ai passé à l’or des mots d’incurables cicatrices. J’ai raconté pour survivre : j’avais le désir d’aller au-delà, de créer de la lumière à partir de ce qui nous avait accablés et presque vaincus, et presque rompus. » Un livre lumineux.
« Ton frère », de Minh Tran Huy, est publié chez Robert Laffont.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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