C’est un enfant plutôt gâté par la vie, issu d’une famille d’industriels italiens, riches quoique honnêtes, connus pour leurs glaces légendaires. Mais voilà, le ciel italien a parfois rougi du sang des victimes visées par les Brigades rouges, ces groupuscules armés qui n’avaient peur de rien pour parvenir à leurs fins politiques, notamment en s’en prenant aux notables.
S’il n’a pas été tué, Francesco Barro n’en est pas moins anéanti, jusqu’à se donner la mort. Pour l’héritier, c’est le pensionnant pour enfants triés sur le volet : "La devise de l’institut, tu deviendras, incarnait cette ambition. Elle rappelait la responsabilité de chaque élève à répondre aux espoirs que ses parents mettaient en lui." Et c’est notamment Paolo, le professeur de théâtre, qui joue un rôle important auprès des pensionnaires qui l’avouent : "Pour beaucoup d’entre nous, même quand on a un père, c’est comme si on n’en avait pas".
En quelque sorte, essentiellement avec ce qui se joue sur scène, et dans les coulisses. Car, si Renato est prodigieusement doué, il vient bousculer la hiérarchie établie, et Petros, vedette jusqu’alors incontestée, ne l’entend pas de cette oreille. Le professeur n’a d’autres issue que de les mettre en concurrence : « Soyons clairs, c’est une lecture italienne, les répliques se feront à vois blanche. Pas d’effets. Je le dis aussi pour ceux qui sont dans la salle, il s’agit d’une séance de travail. Nous ne jouons pas la pièce, nous la lisons. » En fait, on sent bien que ce professeur de théâtre ne joue pas non plus, il a un autre visage derrière le masque de la comédie. Lui qui pourtant a la confiance des jeunes, lui qui devient pratiquement un père de substitution… Et pourquoi en vient-il à évoquer les Brigades rouges ? "Elles ont procédé à des schémas qui ne prenaient pas en compte la condition humaine. Elles ont volé, blessé et tué en se fondant sur une utopie", tente-t-il d’expliquer. "Ils commettaient leurs actes comme on poursuit une mission sacrée, en étant prêts pour cela à subit l’inconfort matériel, l’extrême solitude, et le cas échéant la mort." N’est-il pas un imposteur, celui qui paraît pourtant si sincère quand il aide le jeune orphelin ?
Qu’est-ce qui pousse Paolo dans cet engagement éducatif depuis huit ans ? Celui de "s’occuper de ceux qui naissent du côté des puissants, en me disant que leurs enfants seront puissants à leur tour, que rien ne pourra jamais changer cette réalité, et que le théâtre était le moyen le plus efficace de les sensibiliser à la détresse d’autrui". Et s'il y avait une dimension humaniste et politique dans ce qui se joue dans ce pensionnat ? Au-delà des mensonges et des petits secrets, Metin Arditi met chacun des personnages en face de sa conscience, de son devoir et de sa destinée. L’homme peut être un loup pour l’homme, mais peut-il s’amender, changer. Quel est cet idéal qui pourrait tout permettre ? Avec le suspens qu’il sait mener, mais aussi un équilibre subtil des personnages, pas parfaits, pas totalement pourris non plus, l’écrivain nous renvoie à notre conscience et à notre vigilance. On comprend dès lors qu’il reprennes la citation de Kipling à son fils : "Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot, te mettre à rebâtir, tu seras un homme, mon fils…"
"Tu seras mon père", de Metin Arditi, éd. Grasset, 2022
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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