Une chorégraphe, un cheval… Dans ce texte court et sensible, Bartabas nous relate une rencontre, une sorte d’instant suspendu entre deux artistes qui sont restés émerveillés, réciproquement éblouis, touchés par la grâce. Bartabas est l’homme des spectacles équestres avec sa troupe Zingaro. Pina Bausch, chorégraphe, est une icône de la danse contemporaine. En 1990, la danseuse veut rencontrer le cavalier. Ce sera après le spectacle, à la nuit tombée.
« Nous voilà dans un cercle de silence. Je reconnais ce silence, le langage vertueux des chevaux, somptueux silence, interminable. Nous savions tous deux qu’un seul mot énoncé pouvait détruire tout le mystère du monde », se souvient Bartabas qui insiste : « Le silence n’est pas un alibi mais le signe d’une reconnaissance mutuelle : celle des timides. » Ils fument, boivent, il parle des chevaux, elle pense à ses danseurs. L’écuyer s’efface et veut laisser toute la place aux chevaux. La chorégraphe fait la connaissance d’un cheval, un seul : Micha Figa. C’est ensemble qu’ils vont chercher l’harmonie du geste.
Tout se joue entre Pina Bausch et Micha Figa. Bartabas décrit cette rencontre de la danseuse et du cheval, comme une chorégraphie improvisée : « La piste est un terrain de jeu qui exclut le monde, les voilà naufragés au milieu de nulle part. Comme deux oiseaux qui s’appellent sans se voir, ils s’observent et se questionnent à distance. » Peut-être n’est-on jamais plus vrai, transparent que lors que nous sommes confrontés à l’animal. « Elle revient vers lui, la main tendue. Il la contourne dans l’indifférence. A la fin, debout devant lui, elle laisse ses yeux se fermer. Elle a déposé sa danse à ses pieds. » Puis, Pina Bausch s’écarte, reste à distance. Bartabas travaille : « Elle m’observe guider paupières closes le pas savant de mes danseurs aux sabots délicats. Appuyer, pirouette, passage, changement de pied… » Ne sont-ils pas l’un et l’autre dans un apprivoisement mais aussi dans la quête du mouvement suspendu ? « Hypnotisé par le mouvement de ses mains aussi légères que l’air, le cheval lance la tête d’un mouvement oscillatoire, qui peu à peu entraîne son encolure et ses épaules. »
Bartabas et Pina Bausch ne sont pas déconnectés des réalités humaines : « A la tête de nos compagnies, nous sommes des capitaines au long cours ; sans cesse sur le pont, nous naviguons chacun sur nos océans respectifs, en espérant pouvoir partager une escale ». Mais cette charge, cette responsabilité, c’est vrai, n’effacent pas l’essentiel, ce qui tient au cœur : « Les animaux sont des médium, ils captent l’électricité des âmes », écrit encore Bartabas. L’homme et l’animal sont à nu, se confrontent, se révèlent. « Un box est un confessionnel où l’on peut entendre respirer l’âme des chevaux. » On ne triche pas : « La parole des chevaux est un langage silencieux capable de faire taire la langue parlée. » Pina Bausch est décédé en 2009. Son travail est régulièrement repris, mis en scène. Par la force d’une écriture souple, poétique, pudique, Bartabas lui rend hommage : « Il marche dans ses pas et se meut autour d’elle. Elle s’immobilise les mains offertes, paumes vers le ciel, les bras tendus, dans un geste vers le bas comme pour recueillir l’écho secret d’une sépulture. Elle s’efface peu à peu telle une lueur d’encens. »
Un geste vers le bas, de Bartabas, est publié chez Gallimard.
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