Il y a cent ans, des milliers d’hommes et de femmes travaillaient dans les usines de la région lyonnaise et notamment dans la tentaculaire usine Tase. Ouverte en 1924 à Vaulx-en-Velin pour produire du textile artificiel, elle pouvait accueillir jusqu'à 3 000 ouvriers. Une véritable ville sortie de terre avec sa cité-ouvrière, ses écoles, son dispensaire et ses loisirs. Une époque florissante pour l’industrie mais aussi extrêmement difficile pour les travailleurs, dont la mémoire est conservée par plusieurs associations du quartier.
Au commencement, il y a la famille Gillet. Issue de la bourgeoisie lyonnaise, elle est spécialisée dans l'industrie textile depuis le début du XXe siècle et notamment dans la transformation de cellulose en viscose.
Dans l'entre-deux-guerres, le secteur est porteur. L'usine Tase va donc s'installer dans un village en périphérie. « Il y avait beaucoup d'eau à Vaulx-en-Velin parce qu'on est sur d'anciennes moraines glaciaires », un atout pour l'activité industrielle précise Maxime Sermet, guide et médiateur culturel, et puis « on commence à interdire l'installation des grosses usines polluantes au cœur de la ville puisque les urbains étouffent, on va préconiser le déplacement de ces usines dans les campagnes ».
L'usine s’appelait en 1924 la SASE pour « Soie Artificielle du Sud-Est ». Dans les années 30, les derniers soyeux lyonnais s’opposent à cette dénomination qu'ils jugent trompeuse et voient d'un mauvais œil cette concurrence déloyale. L’usine est alors rebaptisée Tase, pour « Textile Artificiel du Sud-Est ».
On y produit des fils pour les bas féminins, de la fibranne et du fil industriel. Une production qui prendra fin en 1975.
À plein régime, l'usine employait jusqu'à 3 000 ouvriers. Une petite ville s’organise. On y construit une cité-ouvrière constituée de deux espaces. Une cité patronale d'un côté, toujours debout avec ses 97 maisons pour les ingénieurs, contremaitres et ouvriers qualifiés. Elles ont chacune un jardin et avait, à l’époque, un poulailler, un cerisier et un pêcher.
Pour les ouvriers, les Gillet contruisent les « grandes cités ». Vingt immeubles pour des milliers d'ouvriers. C'est ce qu'on appelle alors les cités-jardins puisque tout le monde, quel que soit son statut, a accès à un lopin de terre mais aussi à l’école, la crèche, le dispensaire et à des espaces de loisirs. Un certain confort de vie pour les ouvriers, mais avant tout « une vitrine »tempère Maxime Sermet. « L'objectif était d'arriver à convaincre et à fidéliser des ouvriers à véritablement se tuer à la tâche » ajoute-t-il. Aux conditions de travail difficiles, se rajoute la dangerosité des produits chimiques utilisés à l'époque.
Après la Grande guerre, qui a décimé les forces vives de la nation, la main d'œuvre se fait rare. Il faut faire venir des ouvriers d'Italie, d'Espagne, de Pologne. Des arméniens, installés en France après le génocide, viennent grossir les rangs de l'usine Tase. Il y avait aussi les travailleurs réquisitionnés des colonies. En 1942, une centaine d’ouvriers indochinois se retrouvent forcés à y travailler après avoir participé à l’effort de guerre.
Après la fermeture des usines dans les années 80, certains logements continuent d’être occupés mais le bâti se dégrade. Au début des années 2000, des projets de construction de logements neufs se mettent en place sur ce quartier et on ne prête plus attention à la mémoire des lieux. En 2007, une partie des ateliers et l'aile Ouest sont détruites. Les habitants s'organisent de leur côté pour protéger ce passé industriel. En 2011, la façade Sud inscrite à l'inventaire de monuments historiques puis en 2014, avec le travail de l'association Vive la Tase! et de Silk me Back, le site Cusset-Tase obtient le label « Ensemble industriel remarquable ». Plusieurs victoires qui ont permis d'intégrer, dans les projets de transformation du quartier, la conservation de sa mémoire.
Le quartier fait aujourd'hui l’objet d’un plan de réhabilitation de logements et de construction de logements neufs lancé par la Métropole de Lyon et qui doit être livré courant 2024. Un quartier qui se transforme donc, avec l'arrivée du tramway T6 en 2026, sans renier aujourd'hui son passé industriel.
Pour fêter le centenaire de l'usine et des cités Tase, les associations du quartier organise des conférences, tables-rondes, visites guidées (17 mai, 25 mai et 1er juin) et expositions (Les arméniens et le quartier de la soie).
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !