Cette semaine, après l’horreur, nous allons encore parler de genre avec la Science-Fiction, qui permet tout de suite au lecteur d’avoir un imaginaire souvent dépaysant, et propose la plupart du temps des réflexions intéressantes sur le monde d’aujourd’hui.
Frontier de Guillaume Singelin chez Rue de Sèvres
Quand la Terre suffoque de par l'exploitation de ses dernières ressources, l'humanité se tourne vers un nouveau territoire, l'espace, au-delà des planètes du système solaire : « La Frontière ». Dans cette nouvelle ruée vers l'or, trois destinées s'entremêlent : Ji-soo, scientifique passionnée par l'inconnu ; Camina, mercenaire fougueuse et enjouée ; et Alex, un mineur qui n'a jamais connu la Terre. Ce récit d'aventure narre le parcours tumultueux de ce trio, mais aussi de leur quotidien, celui de vivre dans un nouveau monde. Il pose la question d'une nouvelle humanité complètement déconnectée de son berceau, la Terre, pour se tourner uniquement vers les étoiles.
Sur près de 200 pages, l’auteur nous invite à suivre 3 personnages. Ji-Soo, la scientifique du trio souhaite plus que tout percer le mystère de l’univers. Mais ses rêves et envies vont s’échouer face aux ressources nécessaires et surtout face aux objectifs de ses employeurs, qui ne sont évidemment pas les mêmes. En effet, ces derniers ne voient dans ses innovations que de nouveaux moyens pour exploiter de nouveaux minerais dans l’espace. Dans l’espace aussi c’est possible d'être mise sur la touche, et c’est ainsi que Ji-Soo finit chef de projets sur une mission à laquelle ses chefs la pensaient inoffensive. C’est là qu’elle rencontre Alex, un jeune mécanicien, un vrai extraterrestre, qui est né et a grandi sur la station spatiale sur laquelle elle débarque. Plus tard, par la force des choses, ils rencontreront Camina, cette mercenaire protégeant les intérêts de certaines grosses firmes, et qui suite à un accident se retrouve amputée d’un bras et remet en question le sens de sa vie.
Nous sommes ici dans de la pure Science-Fiction, avec un album à situer entre le manga Planètes de Makoto Yukimura pour l’aspect de l’exploitation de l’espace et la récupération de débris spatiaux et Shangri-La de son compère du label 619 Mathieu Bablet pour les questions de consumérisme ou encore de manipulation génétique. Des thèmes qui résonnent ici et Guillaume Singelin propose une vraie réflexion sur la décroissance, sur l’écologie et l’avenir que nous voulons donner à notre planète, tout en nous faisant prendre conscience de notre existence et de ce que nous voulons en faire de manière très concrète. Pourquoi ne pas quitter son travail pour tout recommencer en trouvant une autre activité qui nous épanouit ou donne plus de sens à notre vie? Certains reprochent une morale un peu simpliste ou mielleuse mais ce sont des valeurs humanistes de liberté, d’émancipation et de respect que nous devons toujours malheureusement rappeler dans notre monde actuel. Il s'agit d’une histoire relativement simple de trois personnes qui, au hasard d’une rencontre, vont tenter de vivre tout simplement leur vie en essayant d’améliorer l’ordinaire en étant maître de leurs choix.
Au-delà de ces questionnements très actuels, on peut aussi souligner le travail graphique de Guillaume Singelin qui rend une copie parfaite. Il faut, bien sûr, aimer son trait caricatural inspiré du comics et du manga, avec ses personnages de petites tailles (façon Son Goku enfant dans Dragon Ball), aux pieds atrophiés, sans nez, avec leurs gros sourcils et seulement 4 doigts aux mains... mais si cela ne vous dérange pas, alors vous apprécierez la lecture de ce livre. L’auteur nous offre une mise en page soignée, de nombreuses perspectives de vaisseaux et stations spatiales. Chaque case voit son décor bien détaillé. La qualité est présente du début à la fin avec des compositions vraiment fouillées tout en étant très lisible. Les couleurs sont magnifiques et servent l’histoire : tout en flattant les yeux avec des séquences de ciel étoilé, ou des couleurs chatoyantes sur certaines séquences sur la terre ferme, elles permettent aussi bien souvent de distinguer les personnages principaux, faisant gagner en lisibilité.
Il ne faut pas attendre de ce « Frontier » un space-opera grandiose et explosif, il y a certes de pures séquences qui ravissent le fan, mais l’auteur nous invite à l’infiniment petit devant l’univers en nous mettant à hauteur de 3 personnes dont nous partagerons le quotidien quelques mois de leurs vies. De l’évasion, de la beauté et de la réflexion, Frontier est une franche réussite.
Noir Horizon de Pelaez et Blasco-Martinez chez Glénat
Dans un monde post-apocalyptique en souffrance, la planète Kepler-452 b intéresse de près l’armée. Toutes les tentatives de traverser son « mur » se sont soldées par de cuisants échecs. Mais qu'y a-t-il derrière cet écran noir d’où aucun des soldats n’est jamais revenu ? Quelle source d’énergie abyssale les dévore jusqu’au dernier ? Face à ce noir horizon, les sondes et les androïdes tombent en panne, les caméras se brouillent. Les damnés de la prison de Kadingirra pourraient-ils réussir l’impensable ? Le Gouverneur a l'intime conviction que ces repris de justice qui n’ont plus rien à perdre pourraient être leur porte d’entrée sur cette planète. Recrutés parmi une horde d’assassins, les six rebelles ne savent pas encore ce qui les attend mais n’ont aucune intention de faire marche arrière ! Une fois sur Kepler, ils vont croiser le mal absolu… car le brouillard transforme les hommes en ce qu'ils ont de plus sombre. Pour ces six criminels ou six prophètes, c’est le début d’une expédition en Enfer. À moins que ce ne soit le début d’une mission d’envergure pour l’Humanité…
Si nous avons évoqué UW1 avec son mur insondable lui-aussi, nous pouvons aussi vous donner une autre référence, celle de Christophe Bec, auteur de nombreux ouvrages de SF et fantastique dans les mêmes tonalités. Ici, nous sommes à des années lumières de la SF proposée par Guillaume Singelin avec son Frontier, nous sommes dans de la SF d’action, voire horrifique et gore que l’on pourrait rapprocher de la saga culte Alien de Ridley Scott (et plus précisément du deuxième volet, Aliens, signé James Cameron). Un récit qui ne fait pas vraiment dans la dentelle, avec des gros bras, des grandes gueules et une équipe de prisonniers - façon Suicide Squad - plus dangereux les uns que les autres et condamnés à réussir leur mission ou mourir (l’histoire est d’ailleurs réservée à un public averti à partir de 15-16 ans). Malgré tout, le casting de série B fonctionne à plein régime, et si on aime ce genre d’aventures explosives, on n'est pas déçu malgré le classicisme de la mise en place et des événements qui tombent sur notre petite troupe de bras cassés. Surtout qu’il s’agit seulement d’une introduction de l’univers et des personnages et qu’il reste une centaine de pages avec les deux derniers volumes de la série pour être surpris par le scénariste.
Au dessin, après une couverture très réussie, Benjamin Blasco-Martinez fournit un travail graphique très efficace, l’action est bien mise en scène. Un véritable exutoire qui ne manque pas de produire des pauses et casse sa dynamique de cases pour une double planche entière, afin de restituer l’infiniment grand du décor, théâtre du jeu de massacre de nos personnages. Ce premier tome ne manque pas de rebondissements quelques peu convenus mais se trouve de facture suffisamment réussie pour attendre la suite avec intérêt.
Bomb X de Brugeas, Toulhoat, Cossu et Guillo chez Glénat
Paul est né en France en 1985. Il est astronaute, membre d’équipage de l’ISS. Mais depuis le crash de la station, sa vie a basculé. Ce qu’il vit dépasse les lois de la physique… Désormais, il pourchasse des orages temporels en compagnie de Bohémond, un chevalier du XIIIe siècle sur une planète perdue à l’autre bout de l’Univers. Paul et Bohémond, ainsi que plusieurs milliers d’autres humains se sont retrouvés propulsés loin de leur époque par des orages temporels. Les rangs de ces exilés s’agrandissent chaque jour avec de nouveaux venus, comme Kyle, un étudiant tout droit sorti du XXe siècle. En réalité sur cette planète sans astres, nul ne sait en quelle année nous sommes ni comment hommes et bêtes franchissent « le passage ». La communauté, établie à Newtown, tâche de préserver la paix civile malgré les coutumes et croyances de chacun. Certains nourrissent des théories farfelues tandis que d’autres explorent en groupes les environs. Paul, gardant un esprit scientifique, essaie quant à lui de comprendre comment fonctionne ce phénomène insolite et pourquoi les exilés viennent de mille ans d’Histoire ?
Cette nouvelle série SF aux parfums survivalistes nous promet une aventure des plus explosives ! Voici une série où l’action à la part belle et nous offre de belles séquences, avec ses orages temporels qui amènent non seulement des humains mais aussi toutes sortes d’animaux et l’histoire débute avec une séquence musclée mettant en avant l’ancien chevalier Bohémond et son équipe ainsi que le nouveau venu, l’astronaute Paul, en prise avec un éléphant rendu complètement fou par le transfert de ces étranges orages. Le reste est un peu moins spectaculaire avec surtout la découverte du fonctionnement de la cité de ces rescapés temporels ainsi que les questions que se pose tout le monde : où sont-ils, pourquoi ont-ils été transportés ici et pourquoi viennent-ils tous d’époques différentes ? (et comment se fait-il qu'ils parlent tous la même langue) Questions dont nous n’avons bien sûr aucune réponse. Il y a bien sûr des dissensions entre les rescapés qui compliquent un peu la situation et surtout une fin d’album qui annonce une menace supplémentaire pour Paul, Bohémond et leurs congénères.
Une histoire pour le grand public féru d’aventure et d’action : Bomb X est parfaitement calibré. L’équilibre entre scènes d’action et scènes d’explication est bien dosé, il y a ce qu’il faut d’humour avec le personnage de Bohémond qui, rappelons-le, vient du XIIIème siècle. Il a toujours un walkman avec lui pour découvrir les stars de la pop du XXème siècle. Par le biais des orages qui transportent non seulement des hommes et animaux mais aussi l’environnement autour, il découvre qu’il peut monter un cheval mais aussi et surtout conduire des voitures qui ont aussi été transportées. Son nouvel objectif est de pouvoir voler et il compte bien sur le cerveau de l’astronaute Paul pour réparer un avion et découvrir le ciel ! Bref, pour l’instant nous sommes agréablement intrigués, en espérant que les scénaristes savent où ils vont nous emmener, car cela peut aussi rapidement virer au grand n’importe quoi. Nous lorgnerons avec un intérêt soutenu sur la suite de cette série, surtout que la mise en image est très réussie. Le dessinateur Brice Cossu de la série jeunesse à succès Frnck et qui a aussi travaillé sur le Goldorak lui aussi couronné de succès se partage le travail avec Ronan Toulhoat. Tous deux dessinent les personnages mais surtout Brice Cossu s’occupe du storyboard, c’est à dire la mise en page, l’ordre et le nombre de cases par planches, tandis que Ronan Toulhoat repasse sur ses dessins pour réaliser l’encrage. Le tout accompagné par les excellentes couleurs de Yoann Guillo, excellent coloriste qui apporte une touche supplémentaire à la qualité de l’ensemble !
Programmation musicale :
Veridis Quo, Daft Punk (Discovery, 2001)
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