Au Kazakhstan et en Ouzbékistan, la mer d’Aral continue de disparaître sous le regard impuissant des peuples qui en dépendent. Lauréate du Prix Photo Terre Solidaire pour son documentaire “Battered Waters”, Anush Babajanyan témoigne de la résilience des populations d’Asie centrale contraintes de s’adapter à leur environnement bouleversé.
Sur la photo du jour, on peut voir une fontaine en plein désert. Pas une petite, mais une grande fontaine à plusieurs niveaux avec de l’eau à profusion qui sort au sommet, et redescend en rebondissant en cascade le long des trois étages. Nous ne sommes pas à Versailles. C’est un édifice très simple construit en pierres maçonnées. La fontaine est au centre de la photo, et trois femmes trempées sont perchées dessus. La première se tient au sommet les mains avancées pour boire de l’eau, elle tourne la tête et semble regarder au fond à gauche de l’image. La deuxième juste en dessous regarde dans la même direction et la troisième est de face, installée au bas de la fontaine quasiment allongée sur un mur les jambes nues comme pour bénéficier de la fraîcheur et du soleil. Derrière cette fontaine dont ces trois femmes sont un peu les naïades d’une fontaine classique, il n’y a rien, juste une grande étendue désertique avec au fond des montagnes arides et un ciel immense.
Nous sommes à proximité du village d’Akespe au Kazakhstan, sur l’ancien bassin de la mer d'Aral. Cette étendue d’eau salée à cheval entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan était encore il y a 50 ans le quatrième plus gros lac au monde. De nombreux villages et des générations de pêcheurs prospéraient autour d’elle. Mais aujourd’hui, la mer d’Aral a perdu 90 % de sa surface et n’est plus qu’un désert de sable quasiment inhabité.
En 1960, l’Union Soviétique, dans une volonté d’étendre son industrie de coton, détourne les fleuves d’Amou-Daria et de Syr-Daria pour l’irrigation, privant la mer d’Aral de sa source et ses populations de leur lac nourricier. Un peu comme une renaissance, cette source qui est en fait une source d’eau chaude est très prisée pour ses propriétés bénéfiques.
La photographe Anush Babajanyan qui sillonne la région depuis 2019 raconte : "Je suis arrivée dans une région complètement dévastée. Et puis j’ai rencontré ces trois femmes qui s’amusaient tout simplement, reconnaissantes d’être à proximité d’une source d’eau chaude. Je me suis dit que c’était à la fois un soulagement et une manière ironique de raconter l’histoire de ce lac qui disparaît". Pour Anush, cette photographie contraste avec la réalité et interroge. Peut-être que la vie est ainsi faite : lorsque quelque chose disparaît, quelque chose d’autre apparaît et permet à la vie de reprendre son cours, autrement. Une photo qui apporte une autre perspective sur la mer d’Aral, loin des clichés de bateaux en décomposition et de lac asséchée.
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