Dans un pays meurtri par plusieurs décennies de conflits, la jeunesse centrafricaine se bat pour construire un avenir sans guerre.
Sur le terrain, 2 000 « médiateurs » pour la paix, formés par l’association centrafricaine la PIJCA, sillonnent le pays inlassablement pour prêcher la réconciliation et la fraternité, souvent à leurs risques et périls.
C’est un pays dont on ne connaît que le son de la guerre. Pourtant, depuis neuf ans, les jeunes se font de plus en plus entendre. Ils forment aujourd’hui 75 % de la population centrafricaine.
Entre la guerre et la paix, l’association la PIJCA (Plateforme Interconfessionnelle de la Jeunesse Centrafricaine) a choisi son camp. Son slogan « Si tu veux la paix, construis la paix » s’oppose au célèbre adage, fait remarquer Judicaël, 42 ans, membre du bureau national. Il faisait partie des mouvements de jeunes catholiques avant de rejoindre la Plateforme interconfessionnelle. En 2014, pendant la guerre civile, « les jeunes chrétiens et les musulmans se sont parlés pour dire que “non” cette guerre n’est pas une guerre religieuse mais politique. On a voulu ensemble mettre fin aux rumeurs, aux fausses informations ». Un travail titanesque alors que les groupes armés, la Seleka, les anti-Balakas ou encore les groupes d’auto-défense dans les quartiers et les villages, n’ont eu de cesse d’opposer les religions et les ethnies, dans ce pays à majorité catholique.
En 2012 et 2014, deux guerres civiles se suivent et mettent à feu et à sang la République Centrafricaine (RCA).
De violents combats éclatent dans la capitale, Bangui, lorsque des milices à majorité musulmane, les Seleka, tentent de prendre le pouvoir et de chasser le président en place, François Bozizé.
Aujourd’hui, ce sont les partisans de cet ancien président déchu, réunis autour de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), qui déstabilisent le pays et commettent régulièrement des exactions ; et même si la situation sécuritaire n’est pas à proprement parler une guerre, « nous sommes assis sur des braises (…), déplore Paul-Crescent Beninga, directeur du Centre centrafricain de recherche et d’analyse géopolitique à Bangui, se coucher et se lever le matin relève de l’exploit ».
L’exploit de réconcilier et de construire la paix est pourtant relevé par une armée de médiateurs de la Plateforme Interconfessionnelle de la Jeunesse Centrafricaine. Ils ont appris la communication non-violente, l’écoute empathique et la résolution de conflits, et parcourent leur pays pour apaiser les tensions et construire des ponts entre les communautés. Un travail de fourmi, réalisé en frappant patiemment à chaque porte.
Aujourd’hui, ces 2 000 médiateurs récoltent les fruits de leur engagement. Au sein même de la PIJCA, chrétiens et musulmans travaillent ensemble sans distinction et en effaçant les rancœurs du passé, et dans certaines villes, la paix s’est installée durablement dans les esprits, malgré les déstabilisations permanentes.
Des membres de la PIJCA à Boda – Dasco, Judicael, Carmelle
Pièce maîtresse dans l’édification de la paix en Centrafrique, les femmes et les jeunes femmes sont massivement mobilisées dans les grandes villes au sein des associations. Au sein de la Pijca, elles ont monté en 2015 une branche spéciale « filles » pour se faire entendre. Elles forment des femmes à la médiation pour la paix, qui interviennent au sein des familles pour régler les conflits inter-confessionnels, mais aussi pour protéger les femmes qui subissent des violences et remettre les petites filles sur le chemin de l’école. Les guerres à répétition ont encore plus fragilisé les femmes en Centrafrique, et construire la paix ne peut pas se faire sans « avoir des femmes fortes », souligne la députée Béatrice Epaye. Or, aujourd’hui, « les femmes sont le visage de la pauvreté. Elles ont servi d’esclaves sexuelles par les groupes armés, ont eu des grossesses non désirées. Elles ont perdu leur dignité », égraine l’une des rares femmes députées de RCA, fondatrice du Forum des femmes parlementaires.
Parmi les visages de ces femmes médiatrices pour la paix, Djamila, 42 ans, est l’une des principales voix. Elle porte un voile jaune lumineux autour du visage et un large sourire, « parce que si on baisse les bras, on va tout perdre et il n’y aura pas la paix ». Musulmane par choix, elle est issue d’un couple mixte. Sa mère, chrétienne, a dû se cacher dans un autre quartier alors que les conflits séparaient quartiers chrétiens et musulmans. Une séparation dont Djamila ne s’est jamais remise. Faute de médicaments, sa mère, atteinte d’une maladie, n’a pas survécu jusqu’à la fin de la guerre.
Aujourd’hui, Djamila forme des dizaines de médiatrices de la paix. Elle parcourt plusieurs quartiers de la capitale Bangui pour apaiser les conflits. Il y a quelques mois, elle est intervenue dans une famille pour empêcher le mariage d’une fillette d’à peine neuf ans. Avec la pauvreté, les mariages précoces sont devenus la norme. « J’ai dit à son père que s’il la mariait, elle ne pourrait rien faire. Qui va s’occuper de leurs futurs enfants s’il faut les amener à l’hôpital et qu’elle ne sait pas bien lire ? Qui ? Je leur ai dit que c’était dangereux, qu’il devait d’abord la laisser terminer l’école », explique Djamila. Persuasive, elle a réussi à empêcher ce mariage. Du baume au cœur quand il reste encore tant à reconstruire.
Reportage de Charlotte Mongibeaux dans l’émission Contre-courant, en partenariat avec le CCFD-Terre Solidaire qui soutient les actions de la PIJCA. Crédits photos : CCFD-Terre Solidaire
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