Spots télés, affiches grands formats et panneaux lumineux au cœur des villes, bannières sur internet et sur les réseaux sociaux : la publicité est partout. Est-elle, par essence, néfaste pour la planète ? Ou au contraire peut-on la rendre vertueuse ? Publicité et écologie peuvent-elles, à certaines conditions, faire bon ménage ? La publicité pourrait-elle être une alliée de la transformation écologique ? Une émission Je pense donc j'agis présentée par Anne Kerléo et Melchior Gormand.
Lancée à l'occasion du Black Friday, en novembre 2023, la campagne de l'Agence de la transition écologique (Ademe) "Posons-nous les bonnes questions avant d'acheter" avait fait grand bruit et même polémique. Elle introduisait le concept de dévendeur : un vendeur qui encourage les clients à ne pas acheter mais à opter pour la réparation ou la réutilisation. Pour lutter contre la surconsommation, largement responsable des atteintes à l'environnement, qui nous placent dans une situation d'urgence écologique.
Les réactions contrastées autour de cette campagne illustrent les débats sur la publicité en général. À travers ce spot, l'ADEME fait le pari que la publicité peut avoir un impact vertueux sur nos modes de consommation et donc nos modes de vie. L'agence tente à travers ces spots de participer à la reconfiguration de notre imaginaire collectif, très marqué par la consommation, voire la surconsommation : "le système publicitaire est là pour créer un imaginaire de bonheur par la consommation", affirme Elodie Vargas, linguiste, spécialiste de l'analyse des discours environnementaux. Interrogée sur ce qu'est la publicité, elle précise : "c'est une communication de masse, partisane, faite pour le compte d'un émetteur clairement identifié, qui paie pour insérer des messages promotionnels dans des espaces distincts du contenu rédactionnel. C'est une communication très particulière parce qu'elle est sollicitative et aléatoire, c'est-à-dire qu'elle s'adresse à un destinataire qui ne l'attend pas, qui n'est pas forcément disposé à la recevoir, et donc le challenge de la publicité c'est que le consommateur doit être capté et convaincu instantanément."
On a montré qu'il y avait un impact de la publicité de l'ordre de 5 % sur les dépenses de consommation.
Si, pendant longtemps, les économistes ont affirmé que la publicité se bornait à faire connaître des produits et donc à orienter nos choix de consommation, désormais on sait qu'elle crée aussi le besoin. C'est ce que montre l'étude "La communication commerciale à l'ère de la sobriété" de l'Institut Veblen. Mathilde Dupré, co-directrice de l'Institut, est l'une des deux autrices de cette étude et explique : "ce qu'on a voulu regarder dans cette étude c'est l'impact économique cumulé de la publicité sur 30 années sur les dépenses de consommation. Et on a montré qu'il y avait un impact de la publicité de l'ordre de 5% sur les dépenses de consommation."
Gildas Bonnel est président de l'agence de Communication Sidièse et vice-président en charge de la RSE à l'AACC, le syndicat des agences de publicité et de communication. Il est convaincu que la publicité a un rôle à jouer face à l'urgence écologique. Et il s'étonne que l'on commence souvent par s'interroger sur la publicité et son impact néfaste, alors que selon lui il faudrait d'abord "se poser la question de la règlementation des offres". Et il s'étonne de la "schizophrénie" de notre société qui fait que "on peut encore vendre en France du Roundup du tabac ou de la bière à 11 degrés, en revanche on ne peut pas en faire la publicité".
Mais pour Mathilde Dupré, même si effectivement il est plus important par exemple de mettre fin à la vente des véhicules thermiques que d'en interdire la publicité, elle estime qu'il serait quand même "logique" de supprimer cette publicité quelques années auparavant. Un point de vue relativisé par Gildas Bonnel qui affirme : "il n'y a plus aujourd'hui de publicité sur l'automobile à combustion fossile. Les marques ne sont pas folles, elles ne vont pas continuer à investir en média pour des produits qui ne se vendront plus dans 2 ans."
Mathilde Dupré estime pourtant que parfois c'est réellement sur la publicité qu'il faut agir, lorsqu'il s'agit de produits utiles qui n'ont pas vocation à disparaître mais dont il faudrait éviter la surconsommation. C'est le cas des téléphones mobiles. Et elle explique : "aujourd'hui l'ADEME nous dit : 9 Français sur 10 remplacent leur téléphone avant qu'il montre des signes d'obsolescence logicielle ou de fonctionnalité. Et donc on a un vrai problème de surconsommation puisqu'on met au rebut des produits qui fonctionnent encore très bien". Et pour elle, la publicité a clairement une responsabilité énorme dans cette situation. Et de regrette : "la communication commerciale alimente un niveau de consommation qui n'est pas soutenable quand bien même c'est certainement utile pour les gens d'avoir un téléphone". Conclusion : "il ne s'agit pas de leur demander de ne plus en avoir, mais de ne pas le renouveler au rythme auquel ils sont invités à le faire aujourd'hui". Et cela ne vaut pas seulement pour les téléphones.
La communication commerciale alimente un niveau de consommation qui n'est pas soutenable.
Les intervenants évoquent aussi les pistes pour rendre la publicité plus compatibles avec un monde aux ressources finies et proposent des solutions. Ils s'accordent sur la créativité à l'œuvre dans le monde de la publicité et sur le fait que cette créativité peut être un point d'appui pour inventer un imaginaire porteur d'un monde durable.
Écoutez la seconde partie de l'émission Je pense donc j'agis :
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