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Pauvreté et citoyenneté : allons-nous laisser 10 millions de personnes sur le bord de la route ?

Un article rédigé par Anne Kerléo - RCF, le 25 juin 2024 - Modifié le 26 juin 2024
Je pense donc j'agisQuelle parole des plus pauvres dans le débat politique ? 1/2

À quelques jours du premier tour des élections législatives en France, l'émission Je pense donc J'agis sur RCF s’intéresse à la participation citoyenne des personnes en situation de pauvreté, à leur implication et à leur intérêt pour la vie politique et à ce qu’elles attendent des responsables politiques. Des personnes qui vivent la pauvreté et des responsables associatifs prennent la parole. 

© RCF© RCF

Les personnes pauvres qui témoignent dans cette émission Je pense donc j'agis s'accordent toutes sur la non prise en compte de leurs situations et de leurs vies par les responsables politiques. "Les pauvres se sentent exclus du Pacte social car ils sont considérés à mon sens comme invisibles par rapport aux autres", témoigne Sophie, de la Fraternité Saint-Laurent, un groupe qui réunit à Lourdes une vingtaine de personnes qui "vivent la galère". Ceci est confirmé par les responsables associatifs qui luttent à leurs côtés et qui font eux-mêmes l'expérience de la difficulté à faire entendre la voix des plus pauvres : "Dans le paysage actuel assez troublé de notre pays, on n'entend pas les associations qui luttent contre la pauvreté" affirme Marie-Aleth Grard, présidente d'ATD Quart-Monde qui s'en indigne : "on ne va quand même pas laisser 10 millions de personnes sur le bord de la route !". Dans ces conditions, difficile pour les plus pauvres d'avoir envie d'aller voter. 

C'est de plus en plus difficile d'aller voter : on n'est pas écouté 

Chantal, elle, ira : "voter c'est important", affirme-t-elle. Mais elle ajoute : "c'est de plus en plus difficile d'aller voter : on n'est pas écouté". Elle explicite ce sentiment de ne pas être prise en compte : "les personnes qui vivent ou ont vécu la pauvreté, l'exclusion, l'isolement, ne trouvent pas leur place dans la société. Beaucoup de politiques décident de mettre en place des lois, des projets, sans rien leur demander, c'est comme s'ils savaient à notre place ce qui est bon pour nous, ce dont nous avons besoin, sans rien connaître de notre vie, de nos espoirs, de nos difficultés au quotidien". Et Chantal liste les difficultés générées par le manque de moyens financiers : "on ne peut pas se nourrir comme on veut, choisir notre alimentation, on a des logements sociaux qui sont mal isolés, on ne peut pas se soigner non plus, certains ne peuvent pas prendre une mutuelle".

Pas envie d'aller voter, mais il faut !

Pas d'argent parce que pas d'emploi. Mais pas d'emploi possible parce que pas d'argent : pas de voiture donc "soit on refuse un travail, soit on fait des kilomètres à pied ou peut-être à vélo, ou on arrive beaucoup trop tôt". Membre du groupe Place et parole des pauvres du diocèse de Quimper, Chantal vit aujourd'hui avec une petite retraite et a connu diverses galères au cours de votre vie, notamment  des moments de chômage, des petits boulots et une période d’invalidité où elle vivait avec 670 euros par mois. Ce qui l'aide à tenir c'est la fraternité vécue dans les associations et en Eglise. Mais aujourd'hui elle a vraiment "peur des élections qui arrivent : "comment le pays va être ? Quelle situation on va vivre nous les pauvres selon qui est élu." Et elle conclut : "Bien sûr je dis qu'il faut aller voter. Ca ne me donne pas envie mais je dis qu'il faut"

L'extrême-droite contre l'augmentation des minima sociaux

Un leitmotiv repris par la présidente d'ATD Quart Monde : il faut aller voter. Et elle ajoute : voter contre l'extrême-droite. Elle raconte que lors du dernier conseil d'administration de l'association, les militants quart-monde membres du CA "ont dit combien ils avaient peur de l'extrême-droite, combien ils ne voulaient pas de l'extrême-droite. Parce qu'ils ont vu les votes des gens de l'extrême-droite à l'Assemblée nationale et qu'ils ont vu qu'ils n'avaient pas voté par exemple pour l'augmentation des minima sociaux. Ils ont dit combien ils mettaient beaucoup d'énergie pour aller motiver leurs amis et les rencontrer pour qu'ils aillent voter, combien c'est absolument essentiel d'aller voter".

Je pense donc j'agisQuelle parole des plus pauvres dans le débat politique ? 2/2

A Lourdes, Anthony, Sophie et Jean-Dominique n'iront pas voter 

Anthony, 33 ans, vit dans un foyer d'hébergement du Secours catholique. Il est membre de la Fraternité Saint-Laurent à Lourdes. Il a connu une vie de galère depuis l'enfance et les mots qu'il met sur son expérience illustrent les propos de Sophie sur l'exclusion du pacte social :  "Je ne me sens pas citoyen, je ne me sens utile pour personne, je suis parfois triste d'être né dans ce pays, je me sens exclu, je ne suis vraiment pas comme les autres, je le ressens énormément. Je n'ai aucun diplôme, pas de permis de conduire. Je n'ai pas de choix politique".

A ses côtés, Jean-Dominique, lui aussi membre de la Fraternité Saint-Laurent, lâche dans un souffle : "ça la politique, hein... moi j'irai voter avec du mal... vous savez, je ne crois plus en rien, à cause des Ministres, à cause des députés : ils n'ont pas fait grand-chose. De toutes façons on restera toujours pauvres". Sophie, elle, déclare se sentir aujourd'hui "incluse dans le pacte social" en dépit de son "passé chaotique". Lorsqu'on lui demande si elle ira voter, elle ne répond pas vraiment : "au niveau du vote, j'y crois plus". Anthony partage ce sentiment que voter ne changera pas la donne pour les plus pauvres : "je ne pense pas qu'en votant pour quelconque politicien, cela va lutter contre la pauvreté". 

Donner le RSA aux jeunes de 18-25 ans

Et pourtant, Jean-Dominique, Sophie et Anthony ont des demandes précises à formuler aux responsables politiques, des idées, des propositions concrètes. Anthony insiste sur la nécessité de lutter particulièrement contre la vulnérabilité des jeunes de 18 à 25 ans : "j'attends quand même des hommes politiques qu'ils fassent construire des structures en grand nombre pour héberger les jeunes de 18 à 25 ans, car à cet âge là on est vulnérable". 

Il raconte la peur de ces jeunes d'intégrer des structures d'accueil où ils seront au contact d'hommes plus âgés cassées par des années de galère et parfois devenues violentes et le manque cruel de structures comme les Foyers de jeunes travailleurs, les missions locales "qui sont toutes pleines, où il n'y a pas de place". Résultat : un parcours de galère et d'errance qui empêche toute possibilité de réintégrer la société. Il pointe aussi l'absence du RSA pour ces jeunes, ce qui conduit selon lui à "7 ans de rue, 7 ans de vols, 7 ans de consommation de stupéfiants et d'alcool". A 25 ans, les addictions ont pris possession de leur vie : "comment voulez-vous que le RSA nous aide si les centres de désintoxication mettent parfois plusieurs années à nous sortir de la drogue ? N'aurait-il pas été pas été plus simple de nous donner le RSA à 18 ans ?". 

Vous faites pleinement partie de la société et votre vote est absolument essentiel

Sophie aussi formule des besoins et des propositions précises : "ce que je demanderais aux politiques, c'est qu'ils fassent beaucoup de choses pour les pauvres : la lutte contre les inégalités sociales, l'engagement d'une politique de sortie de la pauvreté par l'insertion et l'emploi, la lutte contre l'exclusion, la lutte contre l'inflation, essayer de faire les premiers mètres d'eau gratuits, prévenir la santé et tendre la main à ceux qui sont en situation de fragilité". En écho aux propositions claires et précises formulées par de nombreuses personnes, Claude, auditeur de RCF interroge les responsables associatifs présents sur le plateau : "est-ce que les associations ont interpelé les différents parti politiques concernant la grande pauvreté ?" Alexandre Poidatz, responsable de plaidoyer climat et inégalités chez Oxfam France lui répond : "Il y a une initiative qui est née : il y a 100 organisations qui ont proposé 16 mesures pour changer la vie des gens en un an, qui ont pour but d'être reprises par les décideurs politiques et être intégrées dans leurs programmes pour les élections législatives". 

Convaincue d'une action politique transformatrice possible, Marie-Aleth Grard réagit aux propos de Sophie en se référant à ces 16 mesures qui rejoignent les propositions de Sophie. Et elle interpelle les membres de la fraternité Saint-Laurent en les invitant à aller voter : "le vote c'est la possibilité pour chaque citoyen, chaque citoyenne, de donner son avis, de dire : je participe à la société. Vous faites pleinement partie de la société et votre vote est absolument essentiel". 

Les plus pauvres engagés pour faire changer la politique

Si parmi les personnes en situation de pauvreté qui témoignent dans Je pense donc j'agis sur RCF, certaines confient qu'elle ne voteront pas, toutes s'engagent d'une manière ou d'une autre pour que les choses changent. Et la clé de leur engagement c'est la fraternité, c'est le groupe, le collectif. Ainsi, à Lille, Christelle, une maman célibataire de 3 enfants et grand-mère d’une petite-fille de 2 mois, est très investie au centre social de son quartier -l'un des plus pauvres de la ville- et à ATD Quart monde. Elle est aussi membre d'une association de parents d’élève et du Conseil d’administration d’une Halte garderie. Actuellement vous êtes en stage à l'association "Participation et Fraternité", elle souhaite devenir animatrice sociale, pour aider les autres. 

on a proposé nos idées, on a écrit des projets

En 2022, la mairie de Lille a sollicité des habitants en précarité pour travailler sur le plan de lutte contre les exclusions. Sollicitée par l'animatrice du centre social, Christelle a répondu présente. L'association Participation et fraternité a réuni des personnes qui, ensemble on créé le groupe "la courée fraternelle". Christelle raconte : "on a proposé nos idées, on a écrit des projets, surtout l’idée d’une maison ressources où on peut trouver des personnes pour nous aider à comprendre nos droits, sans forcément avoir besoin d’une assistante sociale". Le groupe est allé présenter son projet au Conseil municipal qui l'a voté à l'unanimité. Une "Maison des solidarités" ouvrira le 17 octobre 2024. Et la courée fraternelle collabore à sa création. "Avec tout ça, Je me sens reconnue", témoigne Christelle". Et elle ajoute : "et pas que moi" et enchaîne : "aujourd’hui la courée fraternelle est sollicitée pour mettre en place le Territoire Zéro non-recours du quartier de Wazemmes. On démarre tout juste !"

Le leitmotiv de l'expérience territoire Zéro non-recours : pas des aides, mais l'effectivité des droits 

Justement, à Arras, Aquilina, militante d'ATD Quart-Monde, est impliquée dans l'expérimentation Zéro non-recours sur le territoire où elle vit. Elle témoigne : "c'est un engagement politique. C'est pour aider les gens à avoir leurs droits. Pas une aide mais leurs droits. Le droit au RSA, au logement, à la santé. On travaille avec les travailleurs sociaux et on fait des croisements des savoirs et des universités populaires. On leur dit nos expériences de vie. Beaucoup de gens ne connaissent pas leurs droits ou sont embêtés avec tous les papiers administratifs à faire... Il y a beaucoup de services publics qui ont été enlevés, des choses faites avec des tablettes numériques et les gens ne sont pas accompagnés. Ca fait beaucoup de dégâts. Si vous vous trompez de case, on vous prend pour un fraudeur et après ça fait des dettes". 

Des politiques publiques construites avec les plus pauvres

Au plan national, le Conseil national des politiques de Lutte contre la pauvreté et les exclusions (CNLE), organe de consultation rattaché au Premier Ministre, compte en son sein un "cinquième collège" , constitué de personnes qui vivent la pauvreté. Daniel Maciel est membre de ce conseil comme responsable associatif et témoigne de l'importance de la participation de personnes vivant la pauvreté au travail de cet organisme. "Ca paraît un peu symbolique parce que c'est peu de personnes", convient Daniel Maciel. Mais pour lui, "c'est un symbole très fort parce que ça veut dire que des politiques publiques vont être construites à partir et avec des personnes qui ont ce savoir d'expérience, en le confrontant au savoir universitaire et au savoir professionnel". 

L'effacement de la société civile dans la construction des politiques publiques 

Marie-Aleth Grard, membre elle aussi du CNLE se désole pourtant que le "travail remarquable fait dans cette instance" ne soit pas pris en compte par les responsables politiques en place. Elle insiste : "Depuis 7 ans, on nous consulte sans arrêt et on ne voit tellement pas la vie des gens qui change !" Pour Alexandre Poidatz, cela témoigne plus largement de "la manière dont  les politiques publiques ont été façonnées ces dernières années" : il estime que la décision publique est marquée par "l'absence de la société civile dont la parole n'est actuellement pas prise en compte". Pour lui, ce travail des responsables politiques avec la société civile "serait une voie de solutions pour lutter contre la pauvreté".

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