La légende du colibri, popularisée par Pierre Rabhi, a valorisé les petits gestes éco-responsables du quotidien. Mais de nombreux militants écologistes reprochent à cette fable de nous fait croire qu'il suffit de trier ses déchets pour se donner bonne conscience. Selon les tenants d'une action collective et politique, il faut donc "tordre le cou au colibri"...
"Un jour, il y eut un immense incendie dans la forêt. Les animaux terrifiés assistaient impuissants au désastre. Tous, sauf le petit colibri qui s'activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. "Je fais ma part", répétait-il aux autres animaux incrédules."
"La légende du colibri", Denis Kormann, éd. Actes Sud Junior, 2016
La légende du colibri, d’origine amérindienne, est bien connue des écologistes. Elle a été popularisée en France par Pierre Rabhi, notamment via le livre "La Part du colibri : l'espèce humaine face à son devenir" (éd. de l’Aube, 2006). Le paysan agroécologiste en a fait une invitation à chacun et chacune à faire sa part, pour répondre aux enjeux écologiques. Il a ainsi contribué à l’éveil de la conscience écologique d’un grand nombre de personnes.
On a reproché à Pierre Rabhi de réduire la réponse aux défis écologiques à une question de transformation personnelle et de développement de solutions individuelles. Et ce, au détriment de l’action politique, collective, et refusant à tout prix la conflictualité.
La fable du colibri a quelque chose de "culpabilisant et donc démotivant", juge François Mandil, chroniqueur sur RCF. "Que peut un individu seul face au rayon fruits et légumes de son supermarché ? Comment peut-on demander aux gens de prendre le train quand la voiture et même souvent l’avion, sont moins chers ? Comment réduire l’usage de la voiture quand les politiques publiques ont aménagé le territoire, urbain comme rural, autour de la voiture ?" Si "nos petits choix individuels du quotidien sont louables et nécessaires", ils sont "bien insuffisants au regard du cataclysme climatique".
Il y a, dans l’écologie, trois axes de travail, résume le militant écologiste Adrien Louandre : "l’échelon personnel – on est dans le colibri, un deuxième échelon collectif avec des associations, et un troisième échelon politique". Animateur Écologie intégrale au diocèse d’Angers et étudiant en théologie, Adrien Louandre est le co-auteur du livre "Face à l’incendie, tordre le cou au colibri". Pour lui, le problème du colibri, c’est de faire croire que trier ses déchets est suffisant. "On est tous appelés à faire plus."
Il y a des initiatives individuelles qui, mises bout à bout, peuvent avoir un réel impact à l’échelon collectif. Ainsi, trier les déchets "n’a quasiment pas d’impact" souligne Claire Veret, animatrice de Horizon permaculture et cofondatrice du collectif Résistance climatique. En revanche, "diviser par cinq les kilomètres qu’on fait en voiture, ça c’est une vraie part, et elle a un vrai impact à la fois sur les gaz à effet de serre immédiatement mais aussi sur la norme sociale et la contrainte collective qu’un État, une puissance publique, pourra mettre aussi parce que les citoyens auront changé".
L’étude "Faire sa part" du cabinet de conseil Carbone 4, de juin 2019, montre que "les actions individuelles permettent de faire la moitié du chemin", rappelle Claire Veret. L’objectif fixé par l’État est de diviser par six à huit nos émissions de gaz à effet de serre et par deux nos consommations énergétiques d’ici 2050. Or, ne plus prendre l’avion, aller au travail à vélo ou arrêter de consommer de la viande rouge, "c’est déjà un quart de l’objectif fixé par l’État". Pour être des actions individuelles, elles ne sont pas moins des actions "politiques", pour Clémentine Mossé, fondatrice et présidente de l’association The Greener good et co-fondatrice de l’institut Transitions (à Lyon).
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