Marseille
Quand il devient impossible de discuter et qu'on arrête de se voir... Les thèses complotistes mises à jour durant la pandémie ont eu dans bien des familles le même effet que l'embrigadement sectaire : une rupture des liens. Comment lutter contre la manipulation mentale d'un proche ? Comment savoir quand un fils, une sœur, un parent, a perdu son libre arbitre ?
"Ces deux dernières années, la pandémie a mis au grand jour le phénomène du complotisme : les processus sont un peu les mêmes avec des ruptures dans les familles", observe Marie Drilhon, la vice-présidente de l'Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu). Cette notion de rupture est essentielle dans l’embrigadement sectaire. Mais pas n’importe quelles ruptures, souligne-t-elle, "il faut que ce soit des ruptures préjudiciables".
"Quand une organisation à caractère sectaire rentre dans un foyer ça devient l’enfer à la maison, parce qu’on ne se comprend plus", témoigne Charline Delporte. Dans les années 90, sa fille a été victime d’un embrigadement sectaire. "On ne pouvait pas avoir de discussion avec notre fille, un monologue s’installait, c’était incroyable ! Toute cette doctrine qu’elle nous disait, complètement prête à penser, c’était incroyable tout ce qu’elle avait changé en 15 mois !"
Quand une organisation à caractère sectaire rentre dans un foyer ça devient l’enfer à la maison, parce qu’on ne se comprend plus !
Le mot secte n'a pas de définition sur le plan juridique. La présidente du Caffes (Centre national d'accompagnement familial face à l'emprise sectaire) Charline Delporte parle de "pratiques, de comportements et de faits dommageables sur la personne qui, abusée de bonne foi bien souvent, adhère à un mouvement qui peut être très bien mais qui a de mauvaises intentions".
Pourtant, quand on parle des sectes autour de soi, on constate que la notion parle aux gens et qu'elle les effraie. On constate aussi que pour beaucoup elle évoque l'idée d’une rupture avec l’entourage.
La souffrance des familles est quelque chose que les associations comme le Caffes ou l’Unadfi prennent très au sérieux. Marie Drilhon les considère elles aussi comme des victimes de l’embrigadement sectaire. Pour elle, "il faut élargir la notion de victimes : parfois les membres qui sont dans des mouvements sectaires sont très heureux et ne demandent rien, mais par contre quel saccage autour !"
Or les membres de la famille, "ce sont eux les premiers acteurs pour garder un lien avec la personne", rappelle Charline Delporte. Les proches sentent quand il y a un problème. Pourtant, quand ils prennent contact avec les associations, ils viennent avec des questions comme : "Est-ce que c’est moi qui suis fou ou est-ce que j’ai raison de me méfier ?" Et ils sont "extrêmement reconnaissantes d’être crus".
Ce qui est le plus déconcertant pour les parents c’est la grande simplicité avec laquelle s'enclenche le processus de manipulation mentale. "Au départ ça se passe ainsi : on ne peut pas le voir, témoigne Charline Delporte, c’est ça qui est important de dire au public : c’est d’une simplicité !" Le phénomène d’emprise est d’autant plus complexe que l’organisation à caractère sectaire "n’a pas ligoté la personne pour la faire entrer", selon les mots de Marie Drilhon. Comment savoir à quel moment un fils, une sœur, un parent, a perdu son libre arbitre ?
"On n’imaginait, mon mari et moi, absolument pas ça !" Charline Delporte décrit sa famille comme une sans histoire, un couple uni, deux filles avec des projets d’avenir... "Tout se passait bien chez nous." Un jour, dans les années 90, leur fille aînée est tombée amoureuse d’un jeune homme. "Il n’avait pas le crâne rasé ou des choses qui auraient fait qu'on aurait pu s’inquiéter..." Mais "ce jour-là elle perdait sa liberté et devenait un adepte d’une organisation, elle y a laissé 10 ans de sa vie…"
Ça commence toujours "par une séduction, par un beau message, avec de la croyance, jamais de la science, rarement…" Les personnes les plus à même de se laisser séduire sont "des personnes en recherche, en quête de sens". Mais, comme l'observe Charline Delporte, "beaucoup de personnes sont en quête !" Une fois que la personne pense avoir trouvé des réponses à ses questions, c’est la "deuxième phase, l’endoctrinement". "On suit le leader sectaire, on descend les marches jusqu’à perdre son esprit critique et son libre arbitre." Charline Delporte n’hésite pas à parler de "radicalisation" pour sa fille : "C’était incroyable ce qu’elle était devenue radicalisée, dans quelque chose que l’on ne comprenait pas !" C’est ensuite que vient la rupture familiale.
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