Alors que le marché des animaux de compagnie est en peine expansion, on préfère ne pas trop voir en face les conditions de vie des animaux d'élevage dans le secteur industriel. Une "souffrance invisibilisée" sans doute en raison de l'importance des enjeux financiers. Pourtant, l'impact écologique de l'élevage a même été soulevé récemment par la Cour des comptes...
Le bien-être animal aussi est un sujet de bioéthique. Depuis deux générations une forme extraordinaire d'industrialisation a saisi le secteur de l'élevage. Ce qui ne va pas sans soulever des questions d'ordre éthique, écologique et spirituel.
Si, comme le dit le jésuite et philosophe Éric Charmetant, on part du principe que "les animaux d’élevage sont des créatures de Dieu", on peut se demander "dans quelle mesure elles peuvent se développer dans leur être animal, aller au bout de leur vie…" Pour Éric Charmetant, c’est "la question un peu fondamentale". "Dans quelle mesure en effet les animaux d'élevage, qui sont des créatures de Dieu, peuvent-elles louer le Seigneur par leur existence ?" "Questionner le silence des églises face à la souffrance animale", c’est d'ailleurs l’un des objectifs de l’association Fraternité pour le respect animal (FRA), cofondée en 2017 par Estalle Torres et le Père Olivier Jelen.
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Curieusement, on a plus de facilité à voir des créatures de Dieu dans les animaux domestiques, chien, chats, poneys... Il y a une "dichotomie très forte", observe le philosophe, entre les animaux de compagnie et les cochons, les bœufs ou les volailles, qui ne bénéficient pas du même regard. Si l’on considère l’expansion du marché des animaux de compagnie, on peut considérer qu’il y a même quelque chose d’exacerbé à leur endroit et de complètement caché vis-à-vis des animaux d’élevage.
Il y a une volonté de ne pas trop voir la réalité de la vie des animaux d’élevage
95% des porcs sont élevés industriellement, souvent sans voir le jour, selon L214. Parmi les autres données révélées par l’association de défense des animaux : au stade final de leur croissance, les poulets d’élevage vivent à vingt-deux dans un mètre carré. Et les scientifiques nous expliquent qu’un poulet de chair grossit aujourd’hui cinq fois plus vite qu’en 1960. Une réalité que l’on n’aime pas trop voir en face. "Il y a une volonté de ne pas trop voir la réalité de la vie des animaux d’élevage, admet Éric Charmetant, parce que si vraiment on regardait en face, ça deviendrait vite insupportable !" Le jésuite parle d'une "souffrance invisibilisée".
Le bien-être des animaux d’élevage dans le secteur industriel n’est pas que le problème des professionnels. Il concerne les consommateurs et interpelle les citoyens. "Si on regardait en face la réalité de la vie des animaux d'élevage, cela questionnerait nos manières de produire toujours plus et nos rythmes de consommation de viande", observe le philosophe Éric Charmetant. Il rappelle par ailleurs "qu'autrefois on consommait quand même beaucoup moins de viande sans pour autant mal de porter..."
En plus des questions liées au bien-être animal, il y a l’impact écologique de l'élevage : taille de la surface agricole occupée par l’élevage, émissions de méthane, pollution des sols… Dans un rapport publié lundi 22 mai la Cour des comptes préconise de réduire le nombre de bovins pour lutter contre le réchauffement climatique. L’intensité des réactions que ce rapport a suscitées montre combien il y a d’intérêts en jeu. "C’est une situation très complexe", décrit Éric Charmetant, qui rappelle l’existence "de très grandes entreprises" avec "des quasi monopoles" sur la vente de viande et la nourriture pour bétail.
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Cependant, la filière de l’élevage n’est pas entièrement industrialisée. Dans les petites structures, certains éleveurs montrent qu’il est "possible d’avoir un élevage éthique", précise Éric Charmetant, et d’avoir "des relations avec les animaux d’élevage". Cette dimension de relation avec l’animal, en un sens c’est ce qui fait toute la différence. Comprendre "l’individualité" des animaux, cela rappelle dans l’évangile l’image du bon berger qui connaît ses brebis…
La solution viendra-t-elle des flexitariens ? "Aimez la viande, mangez-en mieux", disait une publicité de 2021 qui vantait ce régime alimentaire. Face à la poussée des végétariens et des vegans, ce discours a de quoi rassurer les éleveurs. Car "leur demander de changer du jour au lendemain est impossible", rappelle le jésuite. Prenant appui sur Aristote, Éric Charmetant propose de "travailler à la fois du côté de la vertu des dirigeants mais aussi du côté de la vertu des citoyens"...
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