Châlons-en-Champagne
Difficile de dire aujourd’hui si l’inflation va durer longtemps. Une chose est sûre : tout le monde n’est pas touché de la même manière. Retour sur un phénomène qui impacte notre vie quotidienne et interroge la fiscalité, et l’opportunisme de certaines entreprises.
Factuellement, l’inflation pour l’année 2023 affiche une moyenne de 4,9 %. Derrière ce chiffre, des familles qui opèrent des arbitrages dans les budgets, des entreprises qui veillent au coût de leurs produits – ou saisissent ici une opportunité, et un État interpellé sur sa fiscalité.
"Tout le monde ne ressent pas la même inflation. Pour les plus pauvres, leur budget est touché de plein fouet par l’augmentation des prix du carburant et de l’alimentation. Il est difficile de ne plus se chauffer, ou de réduire son repas : cela donne lieu à des privations", note Adrien de Tricornot, consultant auprès de l’agence Ulysse Communication, et co-auteur de Inévitable protectionnisme, publié aux éditions Gallimard.
S’appuyant sur le rapport pauvreté du Secours catholique, il rappelle que ces personnes accueillies ont vu leur pouvoir d’achat baisser de 7,8 %. "Le choc inflationniste est hyper fort pour ces bénéficiaires dont le revenu est de 538 euros par mois, par personne. Ce qui a augmenté, c’est justement ce qui est consommé", souligne le consultant, également co-auteur de Mon ami c'est la finance, aux éditions Bayard, et longtemps spécialiste des questions économiques et financières au journal Le Monde.
Adrien de Tricornot rappelle aussi comment les salaires et l’inflation ont été désindexés en 1983. Seul le SMIC, salaire minimum de croissance, suit l’inflation automatiquement, ce qui concerne 17,3 % de la population qui touche ce revenu.
Le choc inflationniste est hyper fort pour ces bénéficiaires.
Michel-Pierre Chélini, professeur agrégé d'Histoire économique contemporaine et spécialiste des salaires, de l'inflation et de la globalisation souligne lui aussi la très grande inégalité face à l’inflation. En fonction des revenus et donc des modes de vie, un tiers de la population ne perçoit pas cette inflation, un tiers peut connaître des difficultés mais garde une certaine marge de manœuvre dans ses dépenses, ce sont les classes moyennes, et un tiers est en très grande difficulté et il lui est difficile d’y échapper. "L’inflation est un phénomène économique, politique mais aussi un phénomène social. L’économiste libéral américain, Milton Friedman, a mis l’accent sur les anticipations. Les familles, les entreprises, les administrations, les partenaires commerciaux mettent en place des stratégies. Ils anticipent sur la hausse ou le ralentissement économique et donc épargnent ou achètent plus vite", note l’historien en économie. "L’inflation peut devenir vraiment très forte s’il y a un défaut politique : une guerre civile, guerre ouverte internationale, conflit politique, tension politique", rappelle le co-auteur notamment de Calmer les prix, l’inflation en Europe dans les années 1970, aux Presse de Science-Po.
Dans la confusion de l’inflation il est parfois difficile d’identifier la raison de la hausse des prix en bout de chaîne.
Qu’en est-il des effets d’aubaines que pourraient saisir certaines entreprises, en augmentant "clandestinement" leur prix plus fortement que les circonstances ne l’exigent véritablement ? "Ils existent, c'est documenté", confirme Julien Pillot, enseignant-chercheur en économie à l’INSEEC grande école, directeur de la Valorisation de la recherche chez Omnes Education, et chercheur associé au CNRS. "Mais dans la confusion de l’inflation il est parfois difficile d’identifier la raison de la hausse des prix en bout de chaîne. Les consommateurs vont chercher des responsables dans le contexte mondial plutôt que d’imaginer que l’entreprise fait des sur-marges". Il est toujours plus simple d’affirmer que tout est lié à la finance de Wall street, ou à la guerre en Ukraine.
Invitant à regarder l’histoire, Michel-Pierre Chélini rappelle que l’inflation n’est pas une fatalité, ni un problème lorsqu'elle est contenue autour des 2%, "c'est plutôt le miroir de nos tensions politiques et sociales".
C’est aussi l’occasion de repenser la redistribution des gains, la fiscalité et finalement tout un système. "D’un côté des gens se serrent la ceinture, de l’autre on voit une création de richesse qui n’est finalement pas très utile socialement. Quelle réforme l'État peut-il engager ?", interroge Adrien de Tricornot.
Pour Julien Pillot, il ne faudrait pas passer à côté d’une réflexion sur la "greenflation", l’inflation verte liée à la hausse des prix des matières premières et de l’énergie liées aux investissement pour la transition écologie, ainsi que la réparation des dégâts climatiques. Tout en rappelant que "pire que l’inflation, il y a la déflation".
Julien Pillot vient rappeler deux moteurs inflationnistes :
Une émission Je pense donc j'agis présentée par Madeleine Vatel et Melchior Gormand
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