La guerre en Ukraine a fait basculer l’économie mondiale dans une ère nouvelle. L’actualité récente met en évidence quatre désillusions quant aux échanges économiques.
La première désillusion vient du fait que l’ouverture économique n’apporte pas l’ouverture politique. C’était un fondement de la croyance en la possibilité d’une mondialisation heureuse. Le renforcement de la dictature sous la présidence de Xi Jinping en Chine et la montée en puissance des régimes illibéraux en Russie, Turquie ou plus proche de nous, en Hongrie, nous montrent que l’ouverture commerciale peut aller de pair avec la fermeture politique, et la restriction des libertés individuelles.
La seconde désillusion concerne le "doux commerce", cette idée selon laquelle les échanges commerciaux entre pays rendraient impossible les conflits, idée déjà énoncée par Montesquieu, et qui est au centre du projet européen. La guerre en Ukraine infirme cette idée, les deux camps s’affrontant directement (ou indirectement si l’on inclut l’Europe) étant commercialement intriqués.
Notre dépendance aux énergies russes nous conduit à verser près d’un milliard d’euros chaque jour à ce pays. En cela le commerce n’empêche pas la guerre, et au contraire, il nous lie les mains et réduit notre capacité à nous y opposer. La guerre en Ukraine conduira peut-être au retour de la primauté du géopolitique sur l’économique.
Il me semble aussi que le conflit ukrainien a mis en évidence notre dépendance au gaz et au blé venant de Russie. La troisième désillusion porte sur l’importance des matières premières. Dans un monde où les frontières sont ouvertes aux échanges économiques, la possession de matières premières n’est pas nécessaire à la croissance. Il suffit de se connecter au commerce international, via le développement d’infrastructures portuaires notamment et l’on peut échanger sur la base de nos avantages comparatifs.
C’est le modèle de croissance des années 2000. Mais dans la période dans laquelle nous entrons, les relations géopolitiques redéfinissent la carte des échanges, et les risques environnementaux, causés par le changement climatique, rendent plus incertaine la production de matière première, tout particulièrement agricole. La possession de ressources devient un avantage absolu, qui écrase tous les autres facteurs de la compétition commerciale entre nations.
Par le passé, la bonne attitude pour le business à l’international était la neutralité. Les entreprises ne prenaient surtout pas position sur les grands enjeux diplomatiques ou politiques. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. Être présent en Chine dans l’industrie du coton, c’est prendre le risque d’être impliqué dans le malheur des Ouïghours. Importer des steaks du Brésil, c’est potentiellement être associé à la déforestation de l’Amazonie. Commercer avec la Russie, c’est être complice des souffrances du peuple ukrainien.
Les attentes de la société civile sont fortes, et les réseaux sociaux leur offrent une caisse de résonance. Le risque de réputation est réel pour les entreprises. Cela pousse les firmes à prendre position et à agir, dans leur intérêt, au-delà des règles fixées par les États. Tout comme la RSE, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, qui est aujourd’hui valorisée par les marchés, on assiste à l’apparition d’une nouvelle éthique du business.
Chaque vendredi à 7h20 dans la matinale, Vincent de Féligonde, chef du service économique et social de La Croix, et Marc Pourroy, économiste et maître de conférences à l'Université de Poitiers, livrent leur analyse sur l'économie en France et dans le monde.
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