Continuons notre réflexion en suivant Gaspard, Melchior et Baltazar : la science, la technique de la cartographie stellaire leur permet de chercher Dieu, et de le trouver. On les appelle des "rois" : leur puissance vient-elle justement de leur science ? et leur science, leur technique, peut-elle, comme l'Anneau de Pouvoir de Tolkien, les prendre sous son emprise, sans qu'ils s'en rendent compte, un peu comme certains d'entre nous avec notre téléphone portable ? Que disent par exemple les Papes de tout cela ?
On verra mieux comment péleriner chacun dans le monde complexe de la technique moderne, où tout va infiniment plus vite que les chameaux des rois-mages, mais où suivre l’Etoile reste possible !
Que nous dit l’appellation « roi-mage » ?
Est-elle si naïve ?
partie 2
A propos de la place de la science et de la technique dans nos vies, nous citions la dernière fois un passage de l'encyclique Laudato Si
Il s'agit d'une réflexion que le groupe Science Défense et Foi avait déjà reprise dans notre vidéo de réflexion sur le transhumanisme, disponible depuis 2018, (elle avait été mise en ligne sur le site du diocèse de Bourges, cette video est également disponible ici).
Le pape François nous faisait réfléchir en indiquant :
§103. La techno-science, bien orientée, non seulement peut produire des choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de l’être humain, […] mais encore est capable de produire du beau et de “projeter” dans le domaine de la beauté l’être humain immergé dans le monde matériel. Peut-on nier la beauté d’un avion, ou de certains gratte-ciels ? […]
§104. Mais nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, la connaissance de notre propre ADN et d’autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un terrible pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira toujours bien, surtout si l’on considère la manière dont elle est en train de l’utiliser.
Pourtant on pense spontanément que la science est neutre, que c’est, un peu comme l’indique le pape, la façon dont on sert qui est bonne ou mauvaise, bénéfique ou catastrophique …
Oui, la façon dont on se sert de la technique et de la science, à l’évidence, est importante : "la techno-science" doit être "bien orientée".
Le pape Benoit XVI le rappelait déjà dans Caritas in Veritate :
"§14. Conscient du grand danger de confier à la seule technique tout le processus du développement, qui ainsi demeurerait sans ligne directrice, Paul VI avait déjà mis en garde contre l’idéologie technocratique, particulièrement forte aujourd’hui. Considérée en elle-même, la technique est ambivalente. […] Absolutiser idéologiquement le progrès technique ou aspirer à l’utopie d’une humanité revenue à son état premier de nature sont deux manières opposées de séparer le progrès de son évaluation morale et donc de notre responsabilité.
§70. Cette vision donne aujourd’hui à la mentalité techniciste tant de force qu’elle fait coïncider le vrai avec le faisable. "
Oui, on pense tout de suite aux OGM en agriculture, à l’innovation en matière d’armement, à certaines lois dites de « bioéthique », au transhumanisme…
Oui, mais une réalité profonde de tout cela c’est que la science n’est pas neutre ! Elle est même synonyme, en soi, de possession, comme le remarquait Simone Weil dans le premier épisode de cette chronique :
La fin de la science est [...] d'abord de rendre l'esprit humain MAITRE, autant que possible, de cette partie de l'imagination que la perception laisse libre, puis de le mettre en POSSESSION du monde ; et peut-être en regardant bien les deux fins ne font-elles qu'une. Cela est vrai même de l'astronomie, pourvu qu'on comprenne ce que c'est que POSSEDER.
Le pape François l’explicite d’ailleurs longuement aux paragraphes suivants de Laudato Si :
107. […/…] Il faut reconnaître que les objets produits par la technique ne sont pas neutres, parce qu’ils créent un cadre qui finit par conditionner les styles de vie, et orientent les possibilités sociales dans la ligne des intérêts de groupes de pouvoir déterminés. Certains choix qui paraissent purement instrumentaux sont, en réalité, des choix sur le type de vie sociale que l’on veut développer.
108. Il n’est pas permis de penser qu’il est possible de défendre un autre paradigme culturel, et de se servir de la technique comme d’un pur instrument, parce qu’aujourd’hui le paradigme technocratique est devenu tellement dominant qu’il est très difficile de faire abstraction de ses ressources, et il est encore plus difficile de les utiliser sans être dominé par leur logique. C’est devenu une contre-culture de choisir un style de vie avec des objectifs qui peuvent être, au moins en partie, indépendants de la technique, de ses coûts, comme de son pouvoir de globalisation et de massification. De fait, la technique a un penchant pour chercher à tout englober dans sa logique de fer, et l’homme qui possède la technique « sait que, en dernière analyse, ce qui est en jeu dans la technique, ce n’est ni l’utilité, ni le bien-être, mais la domination : une domination au sens le plus extrême de ce terme ». […/…]
109. Le paradigme technocratique tend aussi à exercer son emprise sur l’économie et la politique. […/…]
Il y va fort, le pape, tout de même. Il n’exagère pas un peu ? Même si, quand on voit comme notre téléphone portable peut apparemment nous prendre sous son emprise, on comprend ce qu’il veut dire...
Malheureusement, il est important que tous les citoyens, les étudiants, les politiques, les scientifiques, comprennent que ce mécanisme est bien réel, et qu’il est lié intrinsèquement à la science et à la technique, même si son ampleur fait débat, même parmi les membres du groupe berrichon “Science, Défense et Foi”. C’est une question d’éducation très importante, de réflexion et pas seulement de maîtrise de soi et de bonnes pratiques.
La technique, et peut-être même la science, n’est PAS neutre.
Ce mécanisme de l’emprise intrinsèque de la Technique a été spécialement explicité il y a des dizaines d’années par un chercheur bordelais chrétien, bien plus connu aux USA qu’à Paris, Jacques Ellul. On y reviendra sans doute dans une nouvelle chronique, mais on peut d’ores et déjà retenir que ce chercheur-sociologue-théologien chrétien explique aussi que, même si on ne peut pas empêcher cette réalité, “le fait de le savoir” comme il aimait à le dire (par exemple dans les entretiens qu'il avait donnés à FR3) permet de désamorcer ce qui peut l’être, et de vivre au mieux dans le monde complexe de la technique moderne où tout va infiniment plus vite que les chameaux des rois-mages, mais où suivre l’Etoile reste possible.
Encore une citation de pape pour conclure sur cette note positive ?
Allez, encore un extrait de Caritas in Veritate, en son §30 :
"Face aux phénomènes auxquels nous sommes confrontés, l’amour dans la vérité demande d’abord et avant tout à connaître et à comprendre, en reconnaissant et en respectant la compétence spécifique propre à chaque champ du savoir. […] Le savoir humain est insuffisant et les conclusions des sciences ne pourront pas, à elles seules, indiquer le chemin vers le développement intégral de l’homme.
Il est toujours nécessaire d’aller plus loin: l’amour dans la vérité le commande.
Aller au-delà, néanmoins, ne signifie jamais faire abstraction des conclusions de la raison ni contredire ses résultats.
Il n’y a pas l’intelligence puis l’amour:
il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour."
Voilà une belle piste pour péleriner chacun dans le monde complexe de la technique moderne,
où tout va infiniment plus vite que les chameaux des rois-mages,
mais où suivre l’Etoile reste possible !
Chaque semaine, des chrétiens répondent à des questions que tout le monde se pose, sur notre société, notre culture, la défense de notre pays, les sciences et la foi.
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !