Lorsque vous êtes journaliste, vous recevez parfois des lettres de lecteurs, ou d’auditeurs qui vous bousculent. C’est ainsi que j’ai reçu la lettre que Bernard, qui n’était pas d’accord avec un de mes papiers autour des Ehpad, regrettant que je n’aie pas dit que c’était d’abord un lieu de vie. Bernard sait de quoi il parle. Il connaît bien les Ehpad, car sa femme, Marie-France, y réside depuis longtemps. Elle y est parce que la maladie d’Alzheimer lui a fait perdre son esprit, au point de ne plus pouvoir vivre ailleurs : "Il faut l’habiller, la laver, la faire manger, écrit Bernard, elle vit dans une bulle presque complètement fermée où j’ai encore un tout petit accès et je crois que je suis le seul ; elle me fait parfois un sourire quand je suis près d’elle et elle m’a même dit , il y a un certain temps « je suis contente que tu sois là »". C’est pourquoi, lorsque, avant la pandémie, la direction de l’Ehpad a décidé de suspendre toutes les visites de l’extérieur, Bernard a demandé et obtenu d’être pris comme résident temporaire.
Voilà plus de 60 jours qu’il est confiné avec sa femme dans le secteur Alzheimer, seul non malade. À priori, ce devrait être l’horreur, pense-t-on, deux mois ainsi, 24 h sur 24 ! Et bien, il n’en est rien. Dans cette lettre, Bernard raconte des histoires de personnes non cohérentes, à la tête cabossée, aux comportements inattendus, mais des personnes pleines de vie, justement. Son témoignage renverse les idées que l’on peut avoir sur ce genre de lieux, et ce faisant, il me donne, il nous donne, à tous, une sacrée leçon. Bernard raconte par exemple Madeleine, qui se croit propriétaire des lieux, et qui, quand elle déraille, le soir, se met à inspecter toutes les chambres, s’insurge vivement quand elle trouve une chambre fermée… II y a aussi Suzanne la doyenne, plus que centenaire et qui ne manque pas de gouaille ; elle n’est pas très grande mais sa voix peut claironner haut et fort surtout au milieu de la nuit "debout là-dedans... vous roupillez !… j’ai faim !"
Autant d’histoires, dans cette petite communauté constituée d’individualités distinctes, et qui dégage, assure mon interlocuteur après deux mois confiné avec elle, beaucoup de vie, avec ses joies, ses peines, ses fous rires et ses larmes. Et si le sens de cette vie est souvent posé, ajoute-t-il, l’unique réponse reste l’attention de leurs proches, enfants ou conjoint. Rien ne peut remplacer cette présence, qui manque cruellement, en ces temps de confinement. Tout le monde ne peut pas, comme Bernard, se confiner avec son parent en Ehpad. Et nous devons tout faire pour que rapidement, ces établissements puissent de nouveau accueillir les proches. Pour que les Ehpad restent des lieux de vie, comme le dit justement Bernard, et non des lieux de survie.
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