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Dans ma pratique, je rencontre beaucoup d’enfants de moins de 3 ans bilingues. Je constate que des parents n’osent pas parler leur langue familiale à leur enfant, que certains pour parler dans leur langue chuchotent ou n’osent pas nous le dire. Car il y a encore la crainte que nous leur reprochions.
En France, on hiérarchise les langues. Comme s’il y avait de “bonnes” langues et de “moins bonnes” j’ai vu des professionnels s’enthousiasmer que dans une famille, on parle anglais et s’inquiéter que dans une autre, on parle turc. C’est paradoxal de vouloir apprendre des langues aux jeunes enfants et ne pas accepter que les parents parlent leur langue. C’est surtout méconnaître les connaissances scientifiques sur le sujet pourtant nombreuses et éclairantes. Plusieurs recherches ont démontré que le bilinguisme de l’enfant n’est pas un frein dans l’apprentissage du français.
La langue doit être incarnée, il n’y a qu’à entendre les témoignages des professionnels qui travaillent dans ces crèches bilingues anglais quand elles ne maitrisent pas cette langue : les enfants s’en désintéressent. Et pourquoi choisir l’anglais ? Si l’on veut faire de l’éveil aux langues, pourquoi pas le soninké, l’hindi ? Comme chaque professionnel ne peut pas maitriser toutes ses langues, les équipes peuvent inviter les parents à partager leur savoir, leurs comptines par exemple. Les professionnels Petite enfance ne doivent pas hésiter à le proposer aux parents. Cela donne toujours de jolis moments partagés. Je pense avec émotion, à ce papa pendant un atelier parent-enfant qui pour la 1ʳᵉ fois a parlé dans sa langue à son fils, le regard de son enfant émerveillé, le père ému.
Il existe des centaines phonèmes ou sons des langues dans le monde, en français 36. Les langues n’ont pas la même mélodie, un rythme différent, une autre ponctuation. Donc, vous pouvez voir la richesse pour un enfant qui entend un autre langue que le français.
À partir de six mois, le bébé se spécialise dans sa langue familiale. L’enfant bilingue apprend les deux langues en même temps. Cela ne ralentit pas son entrée dans le langage. Si Awa dit 100 mots en français, seule langue qu’elle entend pour Myriam, ce sera peut-être 60 en français et 40 en wolof. Elle ne mélange pas les deux langues, mais les utilise alternativement. Elle sait dans quelle langue échanger selon l’adulte à qui elle parle.
C’est dans sa langue familiale que l’enfant fait sa première expérience de communication, c’est cette langue qui porte ses émotions. Cette langue fait partie de son histoire, c’est avec elle qu’il construit son identité. Nier cela revient à nier l’enfant dans ce qu’il est. Reconnaitre sa langue, c'est le reconnaitre, cette reconnaissance développe la confiance en soi.
Oui à condition que ces langues (turc, soninké, arabe, russe, créole, bambara…) soient reconnues. Et pour les enfants monolingues, l’éveil aux langues ne doit pas être un apprentissage, mais des activités visant la découverte, l’ouverture, le plaisir de jouer avec les sons et avec les mots et dont les bénéfices sont multiples pour tous les enfants. Et comme disaient mes grands-parents Kenavo ou Adiou.
Nathalie Encinas est puéricultrice et dirige un service petite enfance dans l’Essonne. Elle est l'administratrice de l’association 1001mots.
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Florent de Bodman est le cofondateur de l’association 1001mots et l'auteur de l’essai "À portée de mots" (éd. Autrement, 2021).
Nathalie Encinas, puéricultrice, est la directrice d’un service petite enfance dans l’Essonne, administratrice de l’association 1001mots.
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