Ce dimanche 26 janvier est pour les catholiques le dimanche de la Parole de Dieu. Une parole qui a d'abord été transmise en hébreu. Qu'est-ce que ça change, pour un chrétien, de lire le Premier Testament dans sa langue originale ? Témoignage d'Alice Mélès, professeur d'hébreu biblique.
"La Bible ne peut pas être seulement le patrimoine de quelques-uns et encore moins une collection de livres pour quelques privilégiés. Elle appartient, avant tout, au peuple convoqué pour l’écouter et se reconnaître dans cette Parole." Ces mots sont ceux du pape François dans "Aperuit Illis" (2019), le motu proprio qui institue le dimanche de la Parole de Dieu. Une Parole de Dieu qui a d'abord été transmise en hébreu.
Alice Mélès enseigne l'hébreu biblique au Collège des Bernardins, à Paris. Elle témoigne sur RCF de sa passion pour la langue hébraïque et le texte biblique. Ce qui l'a conduite à nouer des liens étroits avec la communauté juive. C'est d'ailleurs ce à quoi encourage le pape pour ce dimanche de la Parole de Dieu : il invite les catholiques "à renforcer les liens avec la communauté juive".
Apprendre l’hébreu à l’âge adulte, c’est pour beaucoup se lancer dans une entreprise particulièrement difficile - ne dit-on pas "c’est de l’hébreu" pour désigner quelque chose d’incompréhensible ! Mais Alice Mélès le dit souvent à ses étudiants : "On n’est pas là pour traduire, on est là pour contempler." Enseignante d’hébreu biblique au Collège des Bernardins elle s’est pris de passion pour la langue hébraïque après avoir découvert la Bible Chouraqui. Cette traduction d’André Chouraqui connue pour son style difficile à comprendre car c’est ce que l’on appelle une traduction littérale.
"Ce qui m’a bouleversée, confie Alice Mélès, c’est le mot matriciel. Quand il dit que Dieu est matriciel" - traduction littérale du mot "miséricordieux". "Un Dieu matriciel, pour moi, ça parle plus que miséricordieux. La matrice, c’est le lieu où naît la vie. Elle protège, elle nourrit, elle laisse se développer. Et elle laisse partir, parce qu’une matrice qui ne laisse pas partir elle tue." Comme beaucoup de langues anciennes, "l’hébreu est beaucoup plus concret, plus abrupt, plus réaliste, plus près de notre vie". Et pour Alice Mélès, "c’est moins dans la religiosité. Ça dépoussière, ça va à l’essentiel, ça donne de l’intensité et de la vérité."
Passionnée par les langues, Alice Mélès a d’abord appris le russe dans son adolescence. Et c’est l’amour de la cette langue qui lui a permis de renouer avec la prière et la fréquentation de la messe, à l’occasion d’un stage chez les jésuites de rite byzantin. Pour elle, être habité par une passion pour les langues étrangères, c’est avoir au cœur la rencontre avec l’autre. "Étudier une langue autre que ma langue maternelle c’est l’archétype de la relation, c’est-à-dire je ne connaîtrai jamais complètement cette autre langue... et donc je suis toujours en train de découvrir." Un peu comme la relation à Dieu, ce tout autre inaccessible qui nous dépasse infiniment ? "Oui, ça nous donne une idée du Dieu qui est tout autre. Chez les juifs, on le voit très nettement."
Apprendre l’hébreu biblique conduit nécessairement à redécouvrir la Bible. Et à s’approprier un héritage. Alice Mélès en a fait l’expérience : "Je me suis dit : On me cache des choses depuis très longtemps !" Ainsi, l’expression "deus sabaoth" que les catholiques entendent souvent à la messe. D’ailleurs Alice Mélès apprécie que, dans la liturgie catholique, on l’emploie telle quelle, avec son mot latin et l’autre hébreu - "sabaoth", que l’on traduit par "armée". Le Dieu des armées ? "Ce n’est pas à exclure, l’idée de l’armée, admet Alice Mélès. Mais avec cette parenté des racines, on trouve dans le Talmud qu’il faut lire : la beauté…"
Les mots hébreux ont tous une racine, un ensemble de plusieurs consonnes. Un peu comme l’ADN, nous dit Alice Mélès, la racine d’un mot a des éléments solides et des éléments souples. Ces éléments permettent d’établir des liens entre les mots. En étudiant la racine d’un mot, selon une méthodologie particulière, le lecteur de la Bible est amené à découvrir la pluralité de sens qu’il contient.
Il y a un autre aspect qu’un chrétien découvre en apprenant l’hébreu biblique, c’est la trace de l’oralité. Les signes de cantillation, c’est-à-dire de ponctuation, montrent que "l’oralité est première, nous dit Alice Mélès. Le canon biblique s’est fait à partir d’un immense trésor de littérature orale." Elle rappelle que ces signes de cantillation sont appelés taamim et que le mot taam signifie "d’abord le goût et ensuite le sens".
Il n’y a pas de Bible hébraïque sans peuple hébreu ni peuple juif !
Catholique pratiquante, Alice Mélès a de nombreux amis juifs, auprès de qui il lui arrive de prier à la synagogue et d’étudier le Talmud. Il n’y a pas de Bible hébraïque sans peuple hébreu ni peuple juif !" lui a enseigné Sœur Dominique de la Maisonneuve, religieuse de la congrégation Notre-Dame de Sion avec qui elle a étudié cinq ans. "Elle nous a appris d’abord le respect de ce texte mais forcément du peuple d’où vient ce texte." Un jour, un jeune père de famille qu’elle voit souvent à la synagogue a dit à Alice Mélès : "Tu dois avoir une grande faculté de décentrement - Je crois bien que je me recentre", a-t-elle répondu spontanément. "Je n’ai pas du tout l’impression de faire de l’exotisme, c’est exactement le contraire. J’apprends plus profond, l’essentiel !"
Ses connaissances approfondies permettent à Alice Mélès de découvrir la façon dont les juifs lisent la Bible et la commentent. Avec son mari, elle suit notamment les cours du rabbin Claude Sultan, "des cours ouverts à d’autres que les juifs. Nous étudions du Midrash, de la pensée juive, quelques fois le Maharal de Prague, et aussi le texte biblique." Le Midrash est une méthode d’interprétation des textes bibliques propre au judaïsme. Il vient d’un verbe hébreu qui veut dire "chercher" et aussi "exiger". "Celui qui étudie le texte biblique, explique Alice Mélès, il est sûr que ça a du sens." Et que ce sens a à voir avec la beauté...
Ainsi, Alice Mélès aime particulièrement la façon dont les juifs prononcent le mot "amen" : avec insistance. "Ça veut dire : C’est sûr ! Moi je crois que cette certitude, c’est cette solidité qui est avant les mots." Pour elle, cela dit quelque chose de cette relation à Dieu que chacun peut avoir et qui se rapporte à l’intuition, quelque chose que l’on pressent au plus profond de nous.
Chaque semaine, un chrétien témoigne de sa foi. Qu’il la vive dans des circonstances très particulières ou en toute simplicité, qu’il ait vécu des choses extraordinaires ou pas, il raconte pourquoi la rencontre avec le Christ a changé sa vie. Une dizaine de producteurs du réseau RCF réalisent à tour de rôle cette émission.
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