Le risque avec les textes sacrés, c'est de s'interdire de les interpréter. Fille d'un grand talmudiste, elle-même romancière et philosophe, juive pratiquante, Éliette Abécassis redit combien l'interprétation des textes est un trésor au cœur du judaïsme.
Juive pratiquante, Éliette Abécassis est née en 1969 à Strasbourg. Cette normalienne agrégée de philosophie, qui est aussi romancière, est la fille d'Armand Abécassis, grand talmudiste très impliqué dans le dialogue avec ceux qu'il appelle ses "frères chrétiens". C'est sur ce père qu'Éliette Abécassis a écrit son dernier livre. Un récit hagiographique intitulé "La Transmission" (éd. Robert Laffont, 2022), où elle s’interroge sur la façon d'enrichir ce qu'elle a reçu, sans jamais figer la tradition dans des dogmes. Un récit très personnel mais qui nous rappelle l'existence, au cœur du judaïsme, d'un véritable trésor pour toute l'humanité : l'interprétation des textes sacrés.
C’est par le dialogue qu’on arrive à réinterpréter les choses et à transmettre. Mais d’une façon qui n’est pas figée, d’une façon qui est ouverte
"Que transmettre ? Comment transmettre ? C’est les deux questions les plus fondamentales de notre époque." Dans son dernier livre, Éliette Abécassis aborde cette question particulièrement actuelle de la transmission. Si elle se pose pour des parents ou des grands-parents soucieux d’éveiller les enfants à ce qu’il ont eux-mêmes appris, elle se pose se manière cruciale en ce qui concerne les religions. Et là, nous dit Éliette Abécassis, tout l’enjeu est d’arriver à transmettre "de façon actuelle". Fille d'un grand talmudiste, c’est-à-dire un interprète de la Torah, Éliette Abécassis nous dit combien transmettre n’est pas répéter "tout ce savoir des générations précédentes qui nous a été donné, légué, ces livres, ces pensées, ces philosophies, ces expériences humaines'. Il s’agit "de les rendre pertinents, et de les recréer à chaque époque". Et donc de les interpréter.
On pourrait croire que la transmission n'est qu'une affaire d'héritage, de passé. Et si c’était avant tout le dialogue ? En hébreu "les dix commandements" se traduit par "les dix paroles". "La parole c’est justement ce qui est ouvert à l’interprétation et à la discussion. C’est pour ça que c’est aussi fondamental, la parole, et non pas le dogme et non pas le commandement figé, parce que la parole, c’est la matière même du dialogue. Et c’est par le dialogue qu’on arrive à réinterpréter les choses et à transmettre. Mais d’une façon qui n’est pas figée, d’une façon qui est ouverte."
Cette parole que l’on considère comme sacrée, on va la contester, j’irais aussi loin que ça, on va la contredire, la discuter
À notre époque, une dérive fondamentaliste menace les grands monothéismes, regrette Éliette Abécassis. "Partout les religions s’enflamment dans une sorte de radicalisme extrémiste fanatique autour d’une parole figée, révélée, sacrée." La romancière redit quel peut être l’apport du judaïsme. "Cette parole que l’on considère comme sacrée, on va la contester, j’irais aussi loin que ça, on va la contredire, la discuter".
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Par exemple, on lit dans la Torah qu’il faut lapider un homme qui ne respecte pas le shabbat. "C’était l’époque, explique Éliette Abécassis, on ne va pas en rester là : on va faire évoluer ce texte. Il faut partir dur le texte avec tout ce qu’il nous donne, toutes ses lumières." Le talmud, c’est-à-dire l’interprétation de la Torah compte pas moins de 63 tomes. "Il y a quatre niveaux d’interprétation. On va remettre en cause jusqu’à la parole divine. Une désacralisation qui est aussi une humanisation parce que, finalement, quand on reste figé sur une parole révélée c’est là où on perd l’humanité en fait."
Si elle aborde dans son livre des questions universelles, Éliette Abécassis signe un récit très personnel puisqu’elle écrit avant tout son père qu’elle admire. Elle le situe dans "la continuité" de "ces rabbis au Maroc vénérés vraiment comme des saints", des "rabbins qui ont passé leur vie à transmettre la Torah". Pour Éliette Abécassis il est d’autant plus important de transmettre sa culture, la culture séfarade, que celle-ci est en train de se perdre. "Ce monde séfarade, ça me tient vraiment à cœur d’écrire et de transmettre ce qu’il a été parce que c’est un monde qui est en train de se perdre. Cette génération de mon père, ce sont les derniers séfarades, en fait il y en a très peu."
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Depuis les années 50, beaucoup de séfarades ont quitté l’Afrique du Nord, principalement pour s’installer au Canada, en France ou en Israël. "En partant ils ont quitté ce monde millénaire qu’ils avaient construit, et qui est tellement riche et c’est une culture qui est très orale." Si les ashkénazes, les juifs originaires de l'Europe de l'Est, ont une ancienne tradition écrite - Éliette Abécassis évoque Bashevis Singer, Philip Roth, Saul Bellow... - ce n'est pas le cas des séfarades. Aussi, même si "écrire fige", Éliette Abécassis doit bien rompre avec cette non écriture des séfarades si elle veut œuvrer pour conserver la culture séfarade.
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