En ces temps de crise sociale, environnementale ou économique, notre modèle de société est remis en question. On parle de paradigmes et de récits dominants qu’il faudrait réinventer. Justement, quel modèle de société propose la Bible hébraïque ? Qu’est-ce que cela change de croire en un seul Dieu ?
Adam et Ève, la mer Rouge fendue en deux, Moïse et les tables de la loi… Dans la Bible hébraïque se trouvent quelques-uns des plus grands récits mythiques auxquels on se réfère encore aujourd’hui. Comment ces textes ont-ils pu imprégner les consciences au point de dessiner ce que l'on appelle une anthropologie biblique ? On en parle dans Connaître le judaïsme avec le Père Olivier Artus, prêtre, bibliste, professeur honoraire de théologie biblique à l'Institut catholique de Paris (ICP), ancien membre de la Commission biblique pontificale, recteur de la basilique de Vézelay, co-auteur du livre "Penser les défis contemporains avec la Bible hébraïque - Une éthique du bien et du mal" (éd. Odile Jacob, 2022).
La Bible hébraïque est un ensemble de textes écrits entre le VIIIe et le IIe siècle avant notre ère. Elle est constituée de trois ensembles : la Torah (que les chrétiens nomment Pentateuque), les prophètes, ou Neviim, et les écrits, appelés Ketouvim – d’où l’acronyme "Tanakh". Dans ces textes communs aux juifs et aux chrétiens, se trouvent quelques-uns des plus grands récits mythiques auxquels on se réfère encore aujourd’hui : Adam, Ève et le jardin d’Éden, la mer Rouge fendue en deux, Moïse et les tables de la loi…
Si ces textes de références semblent intemporels, ils ont été écrits dans un contexte bien précis. Pour Olivier Artus, il est même difficile de les comprendre sans références historiques. Il s’agit d’ailleurs en grande partie "une littérature de crise", analyse le bibliste.
Une littérature qui reflète par exemple l’inquiétude de la communauté judéenne en exil à Babylone après la destruction du Temple en 587 av. J.-C. Celle-ci se demande comment Dieu, qui a fait alliance avec son peuple, a pu laisser advenir une telle situation de crise. Situation qui est, on le voit dans les textes, "un puissant moteur de réflexion théologique". Le rôle des prêtres est repensé, et aussi le rapport à Dieu. Se met en place une "théologie de la création". Comme le dit Olivier Artus, "les auteurs bibliques vont développer des thèmes théologiques nouveaux".
Comment ces textes liés à un contexte historique précis ont-ils imprégné les consciences au fil des siècles ? Comment a-t-on abouti à une anthropologie biblique ? "Une fois qu’un texte est écrit, il s’autonomise par rapport à ses auteurs", explique Olivier Artus d’après la pensée du philosophe Paul Ricœur, qui a élaboré une théorie du texte et de l’interprétation. "La Bible, une fois écrite, forme un tout qui va produire des effets sur son lecteur, qui ne va pas forcément connaître l’histoire de sa formation. Et ses effets résultent du canon considéré cette fois-ci comme un tout. Autrement dit, on peut se poser la question de savoir, au-delà de la formation du texte biblique, quel effet imprime ce texte sur le lecteur qui va le lire en premier ?"
On ne représente plus Dieu, on ne fabrique plus de statues. Et au fond ça veut dire qu’on entre en relation... une relation où le cœur va être impliqué
Le monothéisme est la grande vérité que contient la Bible hébraïque. Qu’est-ce que cela change dans l’histoire d’un peuple et des mentalités ? Le Tanakh montre que la croyance en un Dieu unique s’est faite progressivement. "Dans une première étape que reflète le Livre du Deutéronome, nous dit Olivier Artus, on va arriver à ce qu’on appelle un monoyahvisme exclusif, c’est-à-dire que Yavhé devient le Dieu unique des judéens. Et puis, après l’exil va s’installer un monothéisme."
Le monothéisme signifie qu’il n’y a qu’un Dieu et que ce Dieu est à l’origine de tout ce qui est créé. "La totalité du cosmos résulte de la volonté de ce Dieu dont le but est d’entrer en relation avec l’humanité." Se met en place une "théologie de l’alliance" : Dieu et son peuple "sont reliés par une relation d’amour mais cet amour a une dimension juridique, précise Olivier Artus, c’est-à-dire que cet amour suppose de la part d’Israël d’obéir aux lois qui lui sont données, qui sont des lois pour le bien et pour la vie."
Avec le monothéisme, l’adoration de tout autre dieu est assimilée à de l’idolâtrie. Le "corollaire" de cela est l’interdiction de représenter le Dieu unique. "Je ne peux plus représenter la divinité ou la fabriquer come une idole que je mets dans ma poche - les archéologues israéliens ont trouvé des centaines d’idoles domestiques que l’on mettait dans sa poche, raconte Olivier Artus. On ne représente plus Dieu, on ne fabrique plus de statues. Et au fond ça veut dire qu’on entre en relation... une relation où, pour le dire avec nos mots contemporains, le cœur va être impliqué."
L’anthropologie biblique, c’est la "vision de l’Homme" qui est déployée dans la Bible. "L’Homme dans ses activités habituelles sociales, économiques, décrit Olivier Artus, dans son rapport au prochain, le rapport masculin-féminin, le rapport à la nature, à la vision de sa propre mort…" Cette vision est complexe, tant la Bible hébraïque contient un grand nombre d’éléments qui se contredisent.
On trouve ainsi "deux anthropologies concurrentes" dans le Livre de la Genèse. Une vision selon laquelle "le cosmos est un don de Dieu et appelle une réponse de ma part". Puis, de façon a priori contradictoire, suit une "anthropologie de l’autonomie absolue", où l’humanité "veut conquérir son autonomie". On voit Adam et Ève, le premier couple humain, "s’affranchir des règles de vie qu’avaient donné le personnage divin". Et entraîner l’humanité dans la solitude (à la fin du chapitre 3) et la violence avec le meurtre d’Abel par Caïn (chapitre 4). "C’est une littérature qui nous montre qu’il y a un choix symbolique à faire."
"Chez les auteurs de la Bible hébraïque, les textes que l’on place en introduction ont en général une autorité particulière", rappelle le bibliste. Placer ces récits au début du canon biblique revient à poser des fondamentaux. Et à prévenir le lecteur : "Quoi qu’il en soit de la suite, ne perds jamais de vue le propos de ces chapitres qui répondent aux grandes questions de la vie humaine", interprète le bibliste.
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