Certains détracteurs du pape François estiment qu’il n’écrit pas en théologien. Ses lettres et ses encycliques sont en effet moins théoriques que les écrits de Benoît XVI. Mais le génie du Pape est ailleurs : il use d’un langage imagé et de formules choc qui savent toucher directement le cœur des lecteurs. Un style qui lui vient de son amour des romans et de la poésie.
François a toujours été un grand lecteur. Il fut même professeur de littérature au début des années 60 dans un collège jésuite situé à Santa Fe au Nouveau-Mexique. Issu d’une famille d’immigrés italiens arrivés en Argentine dans les années 30, le futur pape bénéficie d’une double culture littéraire. L’européenne fera ses premiers délices, la sud-américaine mettra plus de temps à le séduire…
Le pape a maintes fois indiqué son amour pour la Divine Comédie de Dante dont il encouragera la lecture aux catholiques lors de la célébration du 750ᵉ anniversaire de la naissance de Dante en 2015.
Mais très jeune, le Pape se délecte aussi des œuvres occidentales classiques, parmi lesquelles l’Énéide de Virgile qui a toujours sa préférence. Jeune séminariste, c’est la littérature française qu’il admire : Verlaine, Rimbaud, Charles Péguy, plus tard Henry de Lubac ou encore Léon Bloy qu’il citera au lendemain de son élection lors du discours aux cardinaux : « Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable. »
Profondément enraciné dans la culture argentine, François apprécie Jorge Luis Borges.
Maître du récit bref et du labyrinthe littéraire, Borges est célèbre pour aborder les questions métaphysiques qui s’imposent à la condition humaine. Bien qu'il n'ait jamais explicitement cité un texte en particulier, le lien que le pape entretient avec les réflexions de Borges transparaît dans sa vision complexe et nuancée de l’existence.
Mais il faut encore citer le poète Leopoldo Marechal, explorant dans ses écrits les thèmes de l’amour divin et de la quête spirituelle ou encore Pedro Casaldáliga. Défenseur des droits des indigènes et des pauvres au Brésil, Casaldáliga écrit de nombreux poèmes sur l’injustice sociale et l’espérance chrétienne. François, dont le pontificat est marqué par un engagement fort envers les marginalisés, s’est souvent référé à cette lutte pour la justice à travers des mots empreints de poésie.
Au cours de son pontificat, le Saint Père a souvent rappelé combien les œuvres artistiques étaient précieuses pour un croyant. Mais c’est dans la « Lettre sur le rôle de la littérature » publiée en août 2024 que François a expliqué de la manière la plus claire et la plus complète les rapports qu’entretiennent la littérature et la poésie avec la foi.
En fin observateur de l’époque actuelle, le pape pointe 3 avantages que l’œuvre littéraire conserve sur les œuvres numériques si prisées aujourd’hui. D’abord, l’œuvre littéraire se rencontre au travers d’un livre. Or, celui-ci, parce qu’il ne véhicule ni son ni image, mobilise nécessairement l’esprit du lecteur et sa créativité alors que les médias modernes le rendent toujours plus passifs.
Par un processus paradoxal et mystérieux, cet exercice d’imagination permet au lecteur de s’évader son quotidien et dans le même temps de revenir vers lui, de se découvrir riches de potentialités.
« Le lecteur réécrit en quelque sorte l’œuvre, l’amplifie avec son imagination, crée un monde, utilise ses capacités, sa mémoire, ses rêves, sa propre histoire pleine de drames et de symboles (...) Dans la lecture, le lecteur s’enrichit de ce qu’il reçoit de l’auteur, mais cela lui permet en même temps de faire fleurir la richesse de sa propre personne, de sorte que chaque nouvelle œuvre qu’il lit renouvelle et élargit son univers personnel »
Les grandes œuvres littéraires ouvrent le lecteur à la complexité de l’existence humaine. Lire, explique le Pape, nous permet de vivre 1000 vies, de faire des expériences à la fois personnelles et déstabilisantes par l’intermédiaire des personnages de fiction car nous les accompagnons, nous les observons, nous entendons leur voix.
Alors que les réseaux sociaux effectue un triage des informations afin de proposer à leurs utilisateurs des contenus qui leur ressemblent, la littérature expose à l’altérité, qu’elle soit humaine ou divine.
« N’oublions pas combien il est dangereux de ne plus écouter la voix de l’autre qui nous interpelle ! On tombe immédiatement dans l’auto-isolement, on entre dans une sorte de surdité “spirituelle” qui affecte aussi négativement notre relation avec nous-mêmes et notre relation avec Dieu. »
La lecture permet de comprendre que la vie humaine, faite de désirs et de déceptions, de surprises et d’épreuves, ne peut être contenue dans une polarité binaire du type vrai :faux ou juste/injuste. Et cette prise de conscience permet au lecteur de sortir d’un manichéisme mensonger. Il devient plus sensible aux expériences des autres, il pénètre dans les profondeurs des âmes humaines et peut en revenir avec un surcroit d’empathie, de tolérance et de compréhension.
« Le lecteur accepte le devoir de juger non pas comme un instrument de domination mais comme un élan vers une écoute incessante et comme une disponibilité à s’impliquer dans cette extraordinaire richesse de l’histoire due à la présence de l’Esprit qui se donne aussi comme Grâce : c’est-à-dire comme un événement imprévisible et incompréhensible qui ne dépend pas de l’action humaine, mais qui redéfinit l’humain comme espérance de salut. »
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