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Père Amar : la compassion est un acte, pas une formule

Père Amar : la compassion est un acte, pas une formule

Un article rédigé par Yves Thibaut de Maisières - 1RCF Belgique, le 1 avril 2025 - Modifié le 1 avril 2025
16/17Père Amar : la compassion n'est pas une formule, c'est un acte

Comment se mettre sur la voie d'une compassion vraie ? C'est un prêtre qui nous propose des pistes pour nous aider à porter avec justesse les fardeaux des uns et des autres.  Le père Pierre Amar, du diocèse de Versailles, est prêtre depuis plus de 20 ans, il est l'auteur de Si tu veux je suis là, paru aux éditions Artège.  

Comment apporter du soulagement à la souffrance des autres ? Quelle attitude juste adopter ? Quelle est la place de l'Eglise dans l'accompagnement de la souffrance ? C'est un thème large développé avec simplicité dans l’ouvrage.

Le père Pierre AmarLe père Pierre Amar

Est-ce dans l'objectif de répondre aux questions pastorales, ou aux questions de vos paroissiens qui aimeraient mieux compatir, que vous écrivez ces lignes ?

Ça répond à une double interrogation. D'abord mon itinéraire personnel et puis ensuite effectivement d'être à la rencontre des gens lorsqu'on est prêtres au carrefour des confidences, des joies et des peines. Je suis prêtre de paroisse et il m'est arrivé de donner des idées pour soutenir ceux qui vivent l'épreuve de la souffrance ou de la fragilité.

D’autre part, il y a mon itinéraire personnel car en 2020, j'ai eu un gros problème de santé. On ne va pas cacher que ça pouvait être la fin du voyage. Lorsqu’on passe pas très loin d'un gros souci de santé, on se pose de nouvelles questions sur le sens de la vie. Cette épreuve m’a permis de changer, sans devenir un grand mystique ni un grand saint, mais cette croix m'a certainement façonné et je ne suis plus tout à fait le même prêtre maintenant. 

De quelle façon avez-vous fait l'expérience de la compassion au cœur de la maladie ?

J'ai mis à peu près deux années pour guérir de cette maladie. On m'a retiré de ma paroisse, et je me suis retrouvé d'un coup hors service de tout ministère. Ces deux années vécues comme un chemin de croix m'ont beaucoup marqué. En fait, j'ai pris conscience que j'avais mis deux années supplémentaires pour m'apaiser, pour redécouvrir un autre rythme. Une phrase dite par mes proches m’a beaucoup aidé : “si tu veux, je suis là” ! Cette phrase m'a pacifié, m'a structuré, m'a reconstruit ! Je me suis dit que j’allais réfléchir sur la portée de cette proposition car si elle m’a fait du bien, elle en fera aussi à d’autres. Sachez-le, cette phrase donne un secours et une force à ceux qui peinent et qui est incroyable. 

 

Saint Paul dans la parole nous exhorte à porter les fardeaux des autres pour accomplir la loi du Christ. Ne faudrait-il pas avoir déjà réussi à alléger quelque peu son propre fardeau avant de porter celui des autres ?

On croit qu'il faut tous être mère Thérèsa ou sœur Emmanuelle pour faire du bien. Mais non, ça appartient à n'importe qui. Là où on est, là où on vit, que ce soit au bureau, au travail, dans l'immeuble, dans la rue où nous habitons, nous pouvons nous aider les uns les autres. La bonne nouvelle, c'est que nous sommes en réalité interdépendants. Nous vivons en société avec des gens qui sont autour de nous et nous avons singulièrement un pouvoir sur le bonheur des autres, sur leur ouverture à la vie, ce qu'on appelle le vivre ensemble. 

Lorsque j'étais en convalescence, un confrère prêtre qui n'était pas très proche de moi à l’époque m’a appelé un soir. Moi, j'étais dans mon lit et ce prêtre m'a dit, “si tu veux, on va au cinéma ce soir”. Je ne me souviens même plus du film qu'on a vu, mais je me souviens que cette soirée m'a fait un bien fou. Je pense que des actes de compassion et de solidarité sont à la portée de beaucoup de gens.

Vous écrivez que la compassion est avant tout une émotion. On pourrait penser que la compassion exige d'abord des actes ?

La compassion c’est une empathie, une émotion. L'étymologie nous aide un peu, cum patior en latin veut dire souffrir avec. Bien sûr, c'est la personne que je veux aider qui souffre, mais je peux choisir d’être à ses côtés un soutien. Ma solidarité peut rencontrer ta souffrance ! La compassion donne à l'épreuve un cadre complètement différent. Je ne suis plus seul. La plus grande des souffrances, c'est l'isolement. Ce sentiment d’isolement est renforcé lorsqu'on a une épreuve ou lorsqu'on porte une croix. Le fait que quelqu'un nous tende la main, donne une envergure différente et permet de traverser l'épreuve.

La compassion donne à l'épreuve un cadre complètement différent. 

L'empathie nous rend capable de supporter

 

Vous proposez une distinction entre la vraie et la fausse compassion. Que faut-il retenir pour être dans le vrai, dans la juste attitude ?

On entre dans ce sujet là avec des débats sociétaux très violents qui traversent nos sociétés occidentales. Je parle de l'euthanasie et des lobbies qui nous font croire que cet acte est un geste d'amour. Je crois que ce n'est pas le malade qu'il faut tuer, mais la maladie. Aujourd'hui, des solutions très abouties existent comme les soins palliatifs qui sont l'expression la plus adéquate de la compassion. Il y a une forme de fausse pitié, de fausse compassion. Je ne vois pas un acte d'amour dans le fait de tuer quelqu'un, je crois que la vraie réponse est la main tendue, la main qui s'ouvre. Le malade ne doit pas hésiter à lancer un appel à l'aide, même s’il faut un peu d'humilité pour ça. Et de l'autre côté, on doit retrouver une attitude faite d'ouverture et d'empathie.

Vous développez plus longuement votre inquiétude quant à la proposition répandue de l’euthanasie. Qu'est-ce qui se joue dans ce contexte par rapport au regard qu'on a sur le soin si l'on se dirige vers une société promouvant très ouvertement et largement cet acte ?

Ce qui se joue, c'est notre capacité à se porter les uns les autres, à nous supporter les uns les autres au sens anglo-saxon du terme. Allez dire à un sportif que les supporters dans les tribunes ne servent à rien. Il vous traitera de fou. C'est très important pour soutenir les joueurs, pour aller au contact de l'adversaire. Le supporter est crucial dans un match. On dit même parfois que c'est le dernier joueur. Et je pense que nous sommes les uns les autres des supporters. Il en va de notre capacité à vivre ensemble et à affronter les peines et les souffrances. Nous avons une capacité à nous supporter les uns les autres, à nous encourager, à nous fortifier. 
 

On ne peut donner que ce qu'on a 

Dans ce livre, vous insistez pour que chacun trouve la juste distance dans ses relations. Sujet développé en lien avec l'apport de l'Église dans l'accompagnement de la souffrance. Pour qu'une compassion soit vraiment saine et libre, faut-il une bonne distance ?

Un terme existe pour ça que j'essaye de développer dans le livre, c'est la proxénie. Il s’agit de la distance avec le prochain. Dans l'Evangile, les chrétiens entendent qu'il faut aimer son prochain et non pas son lointain. Dans le prochain, il y a “proche”, c'est-à-dire celui qui est à côté de moi. Mais en même temps, il faut lui laisser sa propre liberté, son autonomie. On est face à un enjeu d'aider sans imposer, de proposer son aide sans prendre la place de l'autre. Nous sommes des êtres doués d'une liberté absolument absolue qu'il faut respecter.

Pourriez-vous nous donner quelques exemples d'obstacles qui nous rendent moins sensibles à la douleur d'autrui ?

Il y en a deux qui me marquent profondément. Le premier, c'est le manque de sommeil. Selon les études réalisées, il paraît que l'homme et la femme du XXIe siècle dorment de moins en moins. Or, on sait combien le sommeil a une influence sur notre empathie, sur notre équilibre de vie. Le deuxième obstacle à la compassion sont les armes de distraction massive que sont devenus nos smartphones, nos téléphones intelligents qui nous permettent d'être là et absent en même temps. Dans cette situation, les pieds sont bien là mais la tête est ailleurs. On ne peut donner que ce qu'on a. Il faut d'abord emmagasiner de l'empathie en soi, du courage, de l'enthousiasme, pour ensuite le faire déborder vers les autres. 

Nous avons certainement une responsabilité dans nos familles, nos couples, nos communautés, au travail, qui n’est pas un pouvoir mais en tout cas une responsabilité sur l'équilibre et le bonheur du prochain !
 

À la fin de vos réflexions, vous proposez des questions qui nous mettent en route vers ce chemin de compassion. Par exemple, quelles sont nos personnes et nos lieux ressources dans la souffrance ou lorsqu'on a besoin d'aide ? On pourrait proposer aussi une question dans le sens inverse : de qui suis-je la personne ressource pour exercer de façon très concrète cette compassion ?

J'ai voulu, à la fin de chaque chapitre, proposer des questions que je me pose à moi-même en suggérant des axes de progression personnelle. On a tous besoin de grandir, et moi le premier. Cette idée de la personne ressource, du lieu ressource, est capitale pour essayer de rayonner. On a certainement dans notre entourage des gens qui comptent sur nous. C'est encore plus vrai pour moi, prêtre, au cœur de ma vocation. Nous avons certainement une responsabilité dans nos familles, nos couples, nos communautés, au travail, qui n’est pas un pouvoir mais en tout cas une responsabilité sur l'équilibre et le bonheur du prochain. Encore une fois, le prochain c'est celui qui est proche. Soyons vigilants sur l'influence et la responsabilité qu'on peut avoir sur les autres.
 

Le 16/17 ©1RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
16/17
Le 16/17 ©1RCF
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