Qu’avez-vous retenu de la dernière prédication entendue ? Peut-être pas l’essence du message que le prédicateur espérait transmettre. Et pour cause : 95 % des fidèles catholiques pensent qu’une formation oratoire est nécessaire et urgente pour les prêtres et séminaristes.
Face à des chrétiens toujours plus pressés et occupés, l’art de bien parler devient essentiel dans la fonction des prêtres. Mais comment capter l'attention, transmettre un message puissant et toucher les cœurs alors qu’aucune formation à l’éloquence n’est dispensée au séminaire ? Face à ce constat, et dans un monde où les discours doivent informer autant qu’émouvoir et marquer, certains prêtres se forment à l'éloquence chrétienne grâce à l’association Parole d’Homme, cofondée en 2017 par deux spécialistes de l’éloquence, par ailleurs catholiques : Alban Hachard, formateur en prise de parole et media-training, et Luc Desroche, professeur d’éloquence et de théâtre classique.
Retour en arrière. En 2021, leur cœur de cible est avant tout les associations et entreprises qui préparent leurs discours de levée de fonds. Mais un dimanche, au sortir de la messe, ils se demandent si les homélies ne pourraient pas aussi être améliorées. L’enquête lancée dans la foulée, intitulée « Que pensent les français de l'homélie ? », réunira plus de 10 000 réponses en 10 jours et leur donnera raison. Parmi les écueils cités par plus de 9 sondés sur 10 : le manque de clarté et la longueur des prédications. Luc Desroche propose deux solutions pour remédier au problème : la formation « pour savoir comment on fait pour préparer une homélie [et] pour simplement prendre l'habitude de savoir comment faire pour être le plus clair et le plus concis possible » et la prière, « que l'Église appelle la préparation ».
Parce que l'Esprit-Saint, c'est celui qui souffle où il veut, c'est celui qui détermine tout, donc toute prédication qui ne serait pas basée sur l'Esprit-Saint ne pourra pas porter de bons fruits durables. Mais il est important aussi de comprendre qu'il y a une dimension humaine. C'est-à-dire que je prends tous les moyens humains pour faire en sorte de parler le mieux possible, de comprendre à qui je suis en train de parler... J'agis comme si tout dépendait de moi et j'attends les résultats comme si tout dépendait de Dieu et de l'Esprit-Saint. Il faut faire attention à cette confusion qu'on trouve souvent. L'Esprit-Saint supplée la nature humaine, il ne la remplace pas. On ne peut pas dire « c'est bon, je laisse l'Esprit-Saint faire, il n'y a aucun problème ». Ça ne fonctionne pas, ça n'a jamais fonctionné, et l'Église, d'ailleurs, n'a jamais demandé depuis 2000 ans de faire comme ça pour la prédication.
Car prêcher est un art oratoire difficile qui nécessite une grande préparation quand les prêtres sont déjà sur-sollicités. « La deuxième difficulté qui remonte souvent, c'est la diversité des assemblées » indique le professeur de théâtre. Par peur de déplaire aux membres de la congrégation, voire de leur faire quitter l’église, les prédications peuvent être édulcorées. Pourtant, à Capharnaüm, le Christ lui-même a préféré proclamer la vérité bien qu’elle soit trop difficile à entendre pour certains disciples (Jean 6.60-68). « Il ne faut pas diluer le message pour faire en sorte que surtout personne ne parte. Ce n'est pas ça le message du Christ. Le message, c'est qu'il y a une vérité qui vous permet de sauver votre âme ». Et c’est bien là le cœur de la prédication : Saint-François de Sales le dit dans une lettre à l’évêque de Bourges, « quand vous montez en chaire, vous devez vous dire la même phrase que celle qu'a dite le Christ lorsqu'il est descendu sur terre. Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'il l'ait en abondance ». Le but de la prédication est donc établi et les moyens pour y parvenir pour clairs pour Luc Desroche : « la rhétorique, particulièrement la rhétorique chrétienne ».
Pourtant, cette éloquence souffre d’une mauvaise image dans l’Eglise, Luc Desroche affirmant même que « l’Église est le seul endroit où je vois une telle méfiance vis-à-vis de l'éloquence, parce que les chrétiens ont tendance à confondre la rhétorique et la sophistique ». La sophistique consiste à utiliser sa capacité à bien parler pour « défendre de manière indifférente le faux ou le vrai » alors que la rhétorique doit s’utiliser « au service de la vérité » comme le prêchaient Aristote et Saint-Augustin. Celle-ci a été tellement utilisée dans l'Église que les facultés de théologie ont créée, au XVIIIe siècle, une chaire d'éloquence sacrée « avec des professeurs d'éloquence sacrée, notamment Mgr Freppel, évêque d'Angers au XIXe ».
Mais aujourd’hui, la pratique a été abandonnée avec, au mieux, une introduction à la prise de parole dans certains séminaires qui « n’est pas une formation à la prédication catholique alors que ce sont deux choses très différentes parce qu’on ne vend pas Jésus-Christ comme on vendrait une boîte de sardines ». Alors pour accompagner les prédicateurs qui souhaitent se former, Luc Desroche et son association leur proposent 20h de formation gratuites pendant deux jours et demi. Le premier jour est dédié aux fondements oratoires pour faire découvrir la rhétorique aristotélicienne et revenir sur les trois piliers que sont le logos, « le bon sens global du discours, c’est-à-dire que tout ce qu’on dit doit avoir un début, un milieu et une fin », l’éthos, « la crédibilité, l’image que le prédicateur renvoie », et le pathos, « savoir susciter des émotions humaines ». S’ensuit un cours sur les trois langages de la communication orale : verbal, vocal et visuel. « On alterne 30% à 40% de théorie et tout le reste est des exercices pratiques commentés » affirme Luc Desroche. La deuxième journée est consacrée à la thématique « église et prédication » en revenant sur « tout ce que l’Eglise demande spécifiquement sur la prédication depuis Origène en passant par les conciles et même le Directoire sur l’homélie » publié par le Vatican en 2014. La demi-journée restante est dédiée aux accompagnements individuels pour travailler une homélie à venir.
Depuis le lancement du programme, une centaine de séminaristes, de diacres, de prêtres et même un évêque ont été formés. Au-delà de la transformation de l’homélie, c’est avant tout pour les prédicateurs eux-mêmes qu’est pensée cette formation car « beaucoup de prêtres sont vraiment en souffrance avec l’homélie » affirme Luc Desroche qui complète : « on n'est pas là pour faire du chiffre, pour faire des graphiques, est-ce que ça change, combien les homélies remplissent les églises depuis la formation, etc. Le but, c'est que les prêtres se réconcilient avec ces exercices » d’homélie, rendus obligatoires tous les dimanches par Vatican II, sauf motif grave.
L’association a l’objectif de former 500 (futurs) prédicateurs en 2025, en particulier les séminaristes « qui n’ont pas encore la pratique régulière des homélies ». Pour y parvenir, une campagne de financement participatif a été lancée pour lever 25 000€, le reste des coûts étant supporté par les formations à l’éloquence proposée aux entreprises.
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