Faire découvrir, redécouvrir, aimer la poésie.
Cette semaine est consacrée à des poèmes de Jacques Roubaud, décédé le 6
décembre 2024.
Passionné depuis l'enfance par la lecture, ce membre de l'Oulipo laisse une œuvre
poétique considérable. J'ai choisi l'humour, la fantaisie de ce prix Goncourt de la
poésie en cette période Noël en choisissant des poèmes pour enfants et adultes extraits
du recueil intitulé
« Les animaux de tout le monde ».
Chaque jours vous aurez la surprise de découvrir deux animaux.
Vendredi 6 Décembre
Terminons cette semaine par un poème de Louis ARAGON
Tu n'en reviendras pas
Le poète y évoque son expérience de médecin militaire auxiliaire en 1918 pendant la Première
Guerre mondiale, poème en alexandrins écrits d'une manière régulière. Témoignage sur la
tragédie sans nom de la guerre, il est publié en 1956 dans Le Roman inachevé.
Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu’un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux
On part , Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n’être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secouent
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac l’haleine la sueur
Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri
Jeudi 5 Décembre
Après avoir consacré ces trois premiers jours de la semaine à des poètes anglais, je vous invite
à découvrir Guillaume APOLLINAIRE, poète français de la première guerre mondiale
Engagé volontaire, Guillaume Apollinaire est mort lui aussi au faîte de sa gloire, mais à la toute
fin du conflit mondial, le 9 novembre 1918, à l’âge de 38 ans, victime de la grippe espagnole qui
faisait des ravages auprès des populations épuisées par quatre années de guerre. Le poète
était très affaibli par une blessure à la tempe en 1916, provoquée par un éclat d’obus et dont il
ne s’était jamais complètement remis.
Je vous lis:
Si je mourais là-bas... écris le 30 janvier 1915
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de BARATIER
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie —
Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur —
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
Mercredi 4 Décembre
Cameron Wilson s’engage en 1914 dans les Grenadier Guards et devient sous-officier l’année
suivante dans le régiment des Sherwood Foresters. Arrivé en France en février 1916, il fait
partie de ces nombreux combattants qui condamnent le principe de la guerre tout en étant
convaincus qu’il est de leur devoir de se battre. Son poème «Des pies en Picardie» est publié
dans la Westminster Gazette en août 1916. C’est à cette époque qu’il est muté au Grand
Quartier Général. Après avoir été promu capitaine, il repart au front et trouve la mort le 23 mars
1918 à Hermies, dans le Pas-de-Calais. Son nom est gravé sur le mémorial d’Arras à côté de
35 000 autres soldats portés disparus dans ce secteur.
DES PIES EN PICARDIE
Les pies de Picardie
Sont plus que je ne saurais dire.
Elles planent au-dessus des routes poudreuses
Et ensorcellent les hommes
Qui traversent la Picardie,
La Picardie, prélude à l’enfer.
(Le merle, farouche, s’envole au moindre bruit,
L’hirondelle la lumière inlassablement suit,
Les pinsons ont des allures de dame,
La chouette flotte dans l’air du soir.
Mais la grande et radieuse pie
Vole à la manière des artistes.)
Une pie, quelque part en Picardie,
m’a révélé ses secrets :
La musique qu’abritent ses plumes blanches,
La lumière qui chante
Et danse dans la profondeur des ombres.
De ses ailes, elle me l’a dit.
(Le faucon, cruel et austère,
Toujours nous regarde du haut du ciel ;
La morne corneille traîne de l’aile,
Le rouge-gorge aime la bagarre ;
Mais la grande pie radieuse
A le vol gracieux de l’amour.)
Elle m’a dit qu’en Picardie,
Une génération ou deux auparavant,
Quand ses pères étaient encore dans l’œuf, Toutes ces grandes routes poussiéreuses
Charriaient des soldats qui partaient à la guerre,
La guerre en chantant,
Le long des prés et des champs de Picardie,
Prélude à l’enfer.
Mardi 3 Décembre
Les poètes anglais de la Grande Guerre occupent une place tout à fait éminente dans
l'histoire de la poésie britannique, tant par le sujet qu'ils évoquent, que par la qualité de leurs
écrits.
John Alexander MAC CRAE 30 novembre 1872 -28 janvier 1918 est un médecin militaire
canadien. Il est connu comme l'auteur du poème Au champ d'honneur
C'est lui qui aurait écrit le 3 mai 1915 à Boezinge un poème en pleine bataille des Flandres en
hommage à son ami. Il décède à l'Hôpital militaire britannique de Wimereux le 28 janvier 1918.
Le poème In Flanders Fields évoque avec simplicité les champs de bataille des Flandres. Il est
devenu pour les Canadiens et les Britanniques le symbole d'une génération fauchée dans la fleur
de l'âge.
Je vous lis ce poème
Au champ d’honneur
Dans les champs de Flandre, les coquelicots fleurissent
Entre les croix qui, une rangée après l’autre,
Marquent notre place ; et dans le ciel,
Les alouettes, chantant valeureusement encore, sillonnent,
À peine audibles parmi les canons qui tonnent.
Nous, les morts, il y a quelques jours encore,
Nous vivions, goûtions l’aurore, contemplions les couchers de soleil,
Nous aimions et étions aimés ; aujourd’hui, nous voici gisant
Dans les champs de Flandre.
Reprenez notre combat contre l’ennemi :
À vous, de nos mains tremblantes, nous tendons
le flambeau ; faites-le vôtre et portez-le bien haut.
Si vous nous laissez tomber, nous qui mourons,
Nous ne trouverons pas le repos, bien que les coquelicots fleurissent
Dans les champs de Flandre.
Rupert Chawner Brooke, né le 3 août 1887 et mort le 23 avril 1915, est un poète
anglais connu pour ses poèmes idéalistes anti-guerre, écrits pendant la Première Guerre
mondiale
Il fut mobilisé par la Royal Navy peu de temps après son 27ème anniversaire et il prit
part au siège d'Anvers en octobre 1914. Il prit la mer avec la Mediterranean
Expeditionary Force le 28 février 1915 mais développa une septicémie après l'infection
d'une piqûre de moustique. Il mourut le 23 avril 1915 sur un navire
allant vers la bataille de Gallipoli. Les forces expéditionnaires ayant reçu un ordre de départ
immédiat, il fut enterré dans un champ d'oliviers sur l'île, où se trouve encore sa tombe.
Je vous lis son poème
Le soldat
Si je mourais, qu’il soit de moi mémoire,
Disant qu’un coin de champ à l’étranger
Est anglais pour toujours. La terre noire
S’enrichira d’un terreau moins léger ;
Terreau dont l’Angleterre a fait l’histoire
Avec ses fleurs, ses chemins passagers ;
Un corps d’Anglais dans son vivre et son boire
Et son soleil et son art de nager.
Pensez : ce coeur, que tout mal abandonne,
Battement d’absolu... pourtant redonne
À l’Angleterre un peu ce qu’il devait ;
La vue, le son, le bonheur dans les rêves,
Le rire des amis, la paix, sans trêve,
Dans la douceur d’un firmament anglais
Lundi 2 Décembre
Tout au long de cette semaine, je ferai découvrir à nos auditeurs des poètes de la guerre
de 14-18.
Beaucoup d'écrivains et d’artistes de toutes nationalités, parfois célèbres, ont été victimes de la
Première Guerre mondiale, tués ou blessés, meurtris et marqués à jamais dans leur créativité
par les horreurs dont ils furent les témoins.
Wilfred Edward Salter Owen,(18 mars 1893 – 4 novembre 1918) est un poète anglais, très
connu en Angleterre et en Europe et parfois considéré comme le plus grand poète de la
Première Guerre mondiale. Il fut engagé volontaire de cette grande guerre.
Owen fut tué le 4 novembre 1918 , à l'âge de 25 ans, lors de la grande offensive finale à Ors
près du Cateau-Cambrésis, une semaine presque à l'heure près avant l'armistice.
Je vous lis deux de ses poésies: «hymne à la jeunesse condamnée suivi de «sur une
plaque d'identité»
Hymne à la jeunesse condamnée
Quel glas pour ceux-là qui meurent comme du bétail ?
Seule la monstrueuse colère des canons.
Seuls les crépitements rapides des fusils
Peuvent encore marmotter leurs hâtives oraisons.
Plus de singeries pour eux, de prières ni de cloches,
Aucune voix de deuil sinon les choeurs –
Les choeurs aigus, déments des obus qui pleurent,
Et les bugles qui les appellent du fond de comtés tristes.
Quels cierges portera-t-on pour leur dernier voyage ?
Les mains des gosses resteront vides, mais dans leurs yeux
Brûlera la flamme sacrée des au revoir.
Le front pâle des filles sera leur linceul,
Leurs fleurs la tendresse d’âmes patientes
Et chaque lent crépuscule, un volet qui se ferme.
Sur une plaque d’identité
Si jamais j’avais un jour rêvé voir mon nom mort
Haut perché au coeur de Londres, à l’épreuve
Définitive du temps, la fugitive renommée
Ayant choisi d’y chercher enfin long asile –
Autant pour moi.
Et j’évoque avec honte
Ce vieux désir : dérober ce nom aux ardeurs de la vie
Sous les cyprès sacrés qui baignent de leur ombre
La tombe de John KEATS.
Aujourd’hui, je remercie Dieu : aucun risque
De voir ce nom gravé nulle part en formules fleuries.
J’aime mieux ma mort notée sur cette plaque.
Porte-la, cher ami. N’inscris ni date ni haut fait.
Mais que le battement de mon coeur l’embrasse nuit et jour
Jusqu’à ce que le nom se brouille puis s’efface.
Vendredi 29 novembre
L’autrice Marie Pavlenko vit entre région parisienne et montagnes cévenoles et sa poésie est
avant tout une ode à la nature, abordant des thèmes engagés, alternant entre douceur et
violence. Extraits de son premier recueil de poésie « La main rivière », voici de courts poèmes :
« Je suis ivre de ciel », « Je voudrais un oiseau », « Dans tes yeux de montagne », « Le
givre se déploie ».
Jeudi 28 novembre
Marie Pavlenko, autrice de plusieurs romans a publié cette année son premier recueil de poésie
« La main rivière ». S’opposant avec force à la violence de nos sociétés, elle livre une langue
d’amour et de lutte pour que résonne enfin « le grand battement unissant le vivant », comme
elle l’écrit.
Voici « Le sol fracassé » puis « Mon pays perdu ».
Mercredi 27 novembre
Marie Pavlenko, autrice de plusieurs romans a publié cette année son premier recueil de poésie
« La main rivière ». S’opposant avec force à la violence de nos sociétés et à l’urbanisation du
monde, elle prend le parti de la nature et livre une ode à tout ce qui vit, respire et résiste.
Voici « Marcher », « les nuages » et « ma mère »
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